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Pendant que l’on délibérait sur la destinée des otages, ceux-ci avaient, comme la veille, été conduits au chemin de ronde qui leur servait de préau. Rien, extérieurement du moins, n’était modifié dans leur situation ; ils avaient eu leur distribution de vivres, avaient causé avec les surveillans et avaient été reconduits à quatre heures dans leur section. Ils avaient remarqué cependant avec une certaine surprise qu’on les avait engagés à se hâter lorsqu’ils remontaient l’escalier et que leurs cellules, au lieu de rester ouvertes jusqu’à l’heure du bouclage, avaient été fermées au verrou et à clé. Pendant la promenade, Mgr Darboy s’était plaint d’être dans un cabanon trop étroit où. il n’avait que son grabat pour s’asseoir. L’abbé de Marsy lui avait alors proposé de lui céder sa cellule, Je no 23, qui était plus spacieuse, munie d’une chaise, d’une table et même d’un petit porte-manteau. L’archevêque avait accepté ; sur le croisillon de fer qui sépare le judas de la porte, il dessina les instrumens de la passion et écrivit : Rebur mentis, viri salus… Déjà au dépôt de la préfecture de police il avait tracé un crucifix sur le mur de la cellule qui lui avait été attribuée.

La journée eût été normale à la Grande-Roquette si, dans la matinée, on n’y eût amené quatre femmes ; ces malheureuses, conduites par des fédérés, furent poussées au greffe et ordre fut donné de les incarcérer immédiatement, Elles venaient de la rue Oberkampf, où elles étaient restées afin de veiller à leur maison de commerce en l’absence de leurs maris partis pour éviter de servir la commune ; elles avaient refusé de livrer les chevaux et les voitures que l’on réquisitionnait chez elles, le cas était pendable : les quatre prisonnières furent écrouées et enfermées ensemble dans une cellule du quartier des condamnés à mort.

Entre quatre et cinq heures du soir, François était à son poste d’observation habituel, c’est-à-dire chez le marchand de vin, lorsqu’il aperçut un détachement qui, précédé par Genton, montait la rue de la Roquette ; il dit à l’ami avec lequel il buvait : « tiens ! voilà le peloton d’exécution qui vient chez nous. » Il se leva et arriva à la prison en même temps que les fédérés, parmi lesquels on remarquait quelques hommes à casquette blanche appartenant aux Vengeurs de Flourens et un individu costumé, — déguisé ? — en pompier. François, Genton, Vérig, deux officiers dont l’un portait l’écharpe rouge, pénétrèrent dans le greffe. François demanda : « C’est pour aujourd’hui ? » Genton répondit par un signe affirmatif. Il remit un ordre au directeur, qui le lut et le passa sans mot dire au grenier. Le greffier en prit connaissance et dit : « Le mandat est irrégulier, nous ne pouvons y donner suite. » L’officier à ceinture rouge eut un geste de colère : « Est-ce que tu serais un Versaillais, toi ? » Le greffier répliqua avec beaucoup de calme que l’ordre