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combattrons nous en fourniront en abondance. Quant aux Romains, ou bien ils succomberont à la famine, ou bien ils devront s’éloigner de leurs camps en s’exposant aux plus grands risques. Peu importe qu’on les tue ou qu’on s’empare de leur matériel de guerre, sans lequel ils seraient impuissans. Il faut donc brûler les oppides qui ne seraient pas suffisamment protégés par leurs défenses ou par leur situation, de peur qu’ils ne servent de retraite aux lâches qui refusent de se joindre à nous, ou que les Romains n’y viennent chercher des vivres et du butin. Ces mesures vous paraissent-elles dures et cruelles ? Il sera bien plus dur encore de voir vos fils et vos compagnes emmenés en esclavage, et de marcher vous-mêmes au supplice. Or voilà ce qui vous attend, si vous êtes vaincus. »

Ce langage mâle et résolu fut approuvé de tous, et en un seul jour plus de vingt localités bituriges furent livrées aux flammes. Le plan de Vercingétorix était donc de ne pas livrer de grandes batailles, de harceler l’armée romaine et de la détruire par la famine, quoi qu’il en pût coûter. Il n’avait pas une heure à perdre. César, avec toutes ses forces réunies, avait marché sur Vellaunodunum (Château-Landon)[1], l’avait pris pour assurer ses derrières ; puis s’était jeté sur Genabum (Orléans et non pas Gien), qui ne fit pas de résistance. Après l’avoir pillée, brûlée, après regorgement de presque tous ses habitans, il passa la Loire et s’empara de Noviodunum (Nouau-le-Fuselier) qu’un corps de cavalerie gauloise essaya en vain de défendre. Mais à partir de là il entrait sur le territoire dévasté, et il lui importait de prendre Avaricum (Bourges), où il trouverait les vivres qui commençaient à lui faire défaut.

Vercingétorix aurait voulu qu’on brûlât aussi ce chef-lieu des Bituriges ; mais les supplications des habitans dominèrent sa volonté. Ils se faisaient forts d’ailleurs de se défendre victorieusement derrière leurs murs qu’entouraient au nord, à l’ouest et à l’est des marais alimentés par l’Yèvre. Avaricum avait un grand renom dans les traditions celtiques. C’est là que six siècles auparavant avait régné le roi Ambigat, souverain des Gaules, à ce qu’assure une tradition très probablement exagérée ; c’est de là que Sigovèse et Bellovèse, héros à demi légendaires, étaient partis, guidés par le vol des oiseaux, pour occuper le sud de la Germanie et le nord de l’Italie. Il semble que ces glorieux souvenirs protégèrent la vieille cité contre la ruine dont la menaçait le sombre patriotisme des Gaulois de Vercingétorix. César, réduit à l’attaquer par le sud, se trouvait très embarrassé. La cavalerie gauloise battait la campagne et refoulait ses fourrageurs. Vercingétorix avait posté son armée à cinq lieues

  1. Nous suivons ici l’itinéraire adopté par M. Mounier et qui diffère de celui qui est indiqué dans l’Histoire de César de Napoléon III.