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ces pardons que le monarque accorda, surtout à partir du XVIe siècle, pour ce que nous appelons des crimes politiques, pour des révoltes ; les chefs en bénéficiaient d’ordinaire beaucoup plus que leurs agens ou leurs soldats. Jusqu’au temps de la fronde, les princes trouvèrent chez le roi une indulgence qui ne s’étendait guère aux individus obscurs, aux hommes de rien, que ces ambitieux avaient entraînés. Je n’ai ici en vue que les criminels vulgaires qui n’auraient pu faire valoir à l’appui d’un recours en grâce que leur repentir ou leurs bons antécédens et qui quelquefois n’avaient rien de pareil à alléguer.

Ce n’était pas seulement par une supplique, une humble requête remise au souverain, au procureur-général, qu’on pouvait obtenir sa grâce. Le principe de l’amnistie ou abolition des peines à l’occasion d’un joyeux événement arrivé au monarque, d’une visite faite par lui à quelque ville, trouvait parfois une application individuelle. La seule présence du roi au lieu du supplice valait au condamné la vie ; il suffisait qu’il vînt à passer pour que le malheureux eût le bénéfice de cette antique coutume. Il est vrai que le roi prenait grand soin de ne pas se rencontrer là où était le bourreau. Il y avait aussi certains usages particuliers, d’un caractère bizarre et presque ridicule, qui faisaient accorder la vie au condamné prêt à être exécuté. Au moyen âge, en Bourgogne, comme en Italie, celui qu’on pendait obtenait grâce de la vie si la corde venait à se rompre, et le préjugé populaire fit longtemps croire que ce privilège était acquis partout au pendard. On a quelques exemples d’un criminel prêt à être exécuté et qu’on avait épargné parce qu’une fille s’était présentée auprès de l’échafaud en proposant de l’épouser. Un auteur français de la fin du XVe siècle, Nicolas Bohier, soutient que cette coutume ne s’observait qu’à l’égard du ravisseur condamné à mort et que la fille enlevée consentait à accepter pour mari ; il ajoute que, si l’on eût fait grâce aux condamnés célibataires qui trouvaient ainsi une femme in extremis, on n’en aurait point exécuté un seul, car ils n’eussent pas manque de trouver des filles disposées à leur sauver la vie en les épousant. Le Journal d’un bourgeois de Paris sous Charles VI et Charles VII rapporte qu’une fille des halles arracha ainsi à la mort en 1430 un jeune homme auquel on allait trancher la tête et qui avait déjà vu exécuter devant lui ses dix complices. De telles aventures ont fait le thème de plus d’un conte populaire, et Henri Estienne en a rapporté un fort piquant : c’est l’histoire d’un Picard qui aima mieux recevoir le coup fatal que d’épouser la fille boiteuse qui se présentait pour lui sauver la vie.

Ce furent surtout les commutations de peines qui modérèrent la dureté des condamnations ; souvent à la peine capitale le roi substitua la détention perpétuelle ou pour un certain nombre d’années.