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II

La Chine ne saurait plus longtemps demeurer dans l’isolement où elle a été tenue depuis le XVIIe siècle par la politique des Tartares-Mandchoux. Avant eux, ce pays entretenait des rapports suivis avec l’Occident, et si ces relations n’étaient pas plus développées, cela tenait à deux causes : l’éloignement et la conduite des premiers navigateurs. Ceux-ci différaient peu des pirates. Hardis et sans principes, ils agissaient dans les ports où ils débarquaient comme en pays conquis ; ils s’attiraient l’inimitié des populations paisibles de la Chine. On leur donna le surnom de « diables étrangers, » et ils avaient justifié par leur turbulence cette appellation injurieuse. Le gouvernement de Pékin prit donc la résolution de les tenir à l’écart et de leur fermer l’entrée de l’empire. Toutefois il consentit à tolérer leur commerce, qui paraissait avoir une certaine utilité, mais à la condition de le maintenir dans d’étroites limites sur la frontière et sans aucun contact avec la population. Canton, étant situé à l’extrémité méridionale de l’empire, fut désigné pour le trafic avec les Occidentaux. Le reste du pays fut interdit aux étrangers. Cette politique barbare ne réussit pas, malgré sa rigueur, à donner au gouvernement des Mandchoux la sécurité. Sur ce coin de terre, où l’on tolérait les factoreries européennes, les troubles et la guerre naquirent spontanément comme un produit naturel de la cupidité européenne et de l’antipathie chinoise. Les marchands étrangers établis en Chine y faisaient d’énormes bénéfices ; mais, leur avidité grandissant avec le profit, ils imaginèrent de favoriser un vice que le gouvernement chinois s’efforçait de combattre et qu’ils réussirent à développer considérablement : la consommation de l’opium. L’introduction de ce poison était défendue : ils violèrent la défense, corrompirent les mandarins chargés de faire respecter les prohibitions impériales. Tout autre genre de commerce devint secondaire. L’opium procurait aux Chinois un genre d’ivresse parfaitement approprié à leur caractère. Ils en firent une consommation si considérable que le gouvernement sentit la nécessité de combattre efficacement la propagation de ce fléau. Un mandarin, plus intègre ou mieux surveillé que les autres, saisit toutes les caisses introduites en fraude dans les factoreries de Canton et en détruisit le contenu. Il y en avait pour 80 millions. Ce fut un coup d’état d’autant plus inutile que dès lors le territoire de l’empire se couvrait de champs de pavots. A Pékin, on se faisait une singulière illusion si l’on croyait par cette exécution extirper un abus dont la généralité des habitans étaient complices. C’était le cas de se dire que la loi est impuissante contre les mœurs ; surtout, il eût