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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/115

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dominait tout depuis 1840, et tant l’opinion était impatiente de voir la Prusse répondre enfin aux sommations de la patrie germanique.

Il y avait là cependant une singulière équivoque. Le roi allemand, cela voulait dire pour les vainqueurs du 18 mars : le roi de Prusse n’hésitant plus à mettre la Prusse à la tête de la révolution intérieure qui allait constituer l’unité allemande. Pour Frédéric-Guillaume IV, le sens était tout autre. Le doux mystique voulait une transformation, un développement, un nouvel ordre de choses ayant ses racines dans le passé, par conséquent tout à fait conciliable avec l’ordre divin ; l’idée seule de révolution lui faisait horreur. Combinant ses devoirs de roi de Prusse, fils du XIXe siècle, avec ses principes de souverain par la grâce de Dieu, il s’était formé le singulier système que voici : « Je serai le roi allemand, je prendrai la direction active de l’Allemagne, je travaillerai de tout cœur à l’unité de l’Allemagne, mais sans rien enlever à la suprématie séculaire de l’Autriche. C’est pour l’Autriche qu’il faut reconstituer l’empire des peuples germaniques ; ce ne sera pas un empire moderne et révolutionnaire comme celui que prépare l’assemblée nationale de Francfort, ce sera l’empire des vieux âges, le saint-empire romain ayant à sa droite la royauté allemande. L’Autriche, avec ses populations diverses, qui s’étendent du Tessin au Danube, de l’Italie à l’Europe orientale, est admirablement placée pour faire revivre l’antique majesté du saint-empire ; la Prusse, avec son peuple compacte, son esprit militaire, ses institutions robustes, sa discipline inflexible, est naturellement désignée pour les fonctions de la royauté allemande. Auprès d’un Habsbourg, chef du saint-empire, il y aura un Hohenzollern, roi d’Allemagne. L’Autriche représentera les traditions séculaires de la couronne impériale, et, satisfaite d’une part si glorieuse, elle renoncera sans peine à se mêler des affaires germaniques ; la Prusse représentera l’Allemagne nouvelle, et, par ses liens avec l’Autriche, dont elle reconnaîtra le droit d’aînesse, elle sera intimement rattachée à l’Allemagne des anciens jours. »

La conduite de Frédéric-Guillaume IV, dans la crise de 1848, ses hardiesses et ses timidités, ses marches en avant et ses reculades, tout cela est expliqué par le programme qu’on vient de lire. Nous avons déjà raconté ces événemens, soit à l’heure même où ils venaient de se produire, en 1849, après la dissolution du parlement de Francfort, soit vingt-quatre ans plus tard, lorsque la correspondance de Frédéric-Guillaume IV avec le baron de Bunsen, publiée par M. de Ranke avec l’assentiment de l’empereur d’Allemagne, nous permit de pénétrer plus avant dans les pensées du roi de Prusse. Qu’il nous suffise aujourd’hui de résumer les principales