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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/117

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Le 28 mars 1849, l’assemblée nationale de Francfort, à l’unanimité des suffrages exprimés, décerne au roi de Prusse le titre d’empereur d’Allemagne. Que fait le roi de Prusse ? Le jour où le président de l’assemblée, M. Simson, accompagné de vingt-quatre de ses collègues, va porter à Berlin le vote du 28 mars, le roi, sans refuser ouvertement, ajourne sa décision jusqu’à l’heure où les souverains de l’Allemagne, régulièrement consultés, auront exprimé leur avis. C’était le 2 avril. Dès le lendemain, l’Allemagne est en feu. Tandis que l’assemblée de Francfort s’indigne de la pusillanimité de Frédéric-Guillaume, tandis que le cabinet de Vienne s’irrite au contraire de son audace et l’accuse d’avoir ménagé un parlement révolutionnaire, le parti démagogique se hâte de mettre à profit les fureurs du parti national. Pressé de nouveau entre Francfort et Vienne, Frédéric-Guillaume n’hésite pas ; il donne raison à Vienne. Une déclaration signée de sa main fait savoir à tous les gouvernemens de l’Allemagne qu’il ne peut ni reconnaître la constitution de Francfort ni accepter la couronne impériale. S’en tenir là pourtant, ce serait renoncer à son idée, il s’y attache plus que jamais. L’œuvre de l’unité allemande n’est pas abandonnée, elle passe seulement à d’autres architectes. Le roi de Prusse invite tous les princes allemands à se réunir en congrès et à reconstruire de fond en comble l’édifice de Francfort.

Ce qu’il exprime là sous les formes du langage officiel, il le dit à son ami le baron de Bunsen avec une incroyable énergie. « Cette couronne que je refuse, ce n’est pas une couronne… Quoi ! ce produit de fabrique révolutionnaire, ce misérable oripeau, ce bric-à-brac pétri de glaise et de fange, on voudrait le faire accepter à un souverain légitime ! .. Si la couronne dix fois séculaire de la nation allemande, après un interrègne de quarante-deux ans, doit être une nouvelle fois donnée, c’est moi et mes pareils qui la donnerons. Et malheur à qui usurperait ce qui ne lui appartient pas[1]. »

Singulière menace en vérité ! À qui donc s’appliquent ces paroles ? y aurait-il quelque part, en dehors de l’Autriche, un rival inconnu qui disputerait l’empire d’Allemagne à Frédéric-Guillaume ? Pas le moins du monde. La menace s’adresse au parlement de Francfort, c’est-à-dire à l’assemblée qui, pour faire du roi de Prusse le chef de l’empire, lui a fabriqué elle-même une couronne à sa guise, ce que l’ardent légitimiste appelle un bric-à-brac. Les trois ou quatre mois qui suivent ne laissent aucun doute à ce sujet. La révolution a usurpé en mettant la main sur la couronne impériale

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1873, Frédéric-Guillaume IV et le baron de Bunsen, — la fondation du nouvel empire d’Allemagne.