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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/149

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se sent pas de joie et se met à chanter tous les matins à sa fenêtre : « J’aurai une robe neuve quand mai sera venu ! » Passe un marchand ambulant qui lui demande ce qu’elle chante. La niaise s’empresse de le dire, et le marchand d’entrer dans la maison : « Mai, c’est moi, s’écrie-t-il, et je t’apporte ta robe. » Il donne alors à la jeune fille une pièce d’étoffe grossière et emporte les dix ducats.

On voit que les contes de Pomigliano courent le monde ; il en est un entre autres qui a fait beaucoup de chemin. On rapporte que Frédéric II se rendait souvent pour les affaires de l’état chez son chancelier Pierre des Vignes. Un beau matin il ne le trouva pas ; mais, la chambre étant ouverte, il entra tout droit, et surprit au lit la femme de Pierre, qui était fort belle. Elle était endormie, et l’empereur ne la réveilla pas. Il se contenta de ramener la couverture sur les bras nus de la dame et se retira chastement, mais en laissant son gant sur le lit par malice ou par mégarde. Pierre, étant rentré, trouva le gant de l’empereur et en fut très marri, mais n’en dit rien ; seulement il n’adressa plus la parole à sa femme, qui, fort affligée de ce silence, alla s’en plaindre au souverain. Frédéric se rendit chez Pierre, qui voulut devant sa femme lui donner une petite leçon à mots couverts, et il improvisa un couplet que nous transcrivons parce que ce sont peut-être les plus anciens vers italiens que l’on connaisse et que Fauriel les a cités inexactement :

Una vigna no piantà.
Per travers é intrà
Chi la vigna m’ha goasta.
Han fait gran peccà
Di far ains clie tant mal.


La femme de Pierre lui répondit aussitôt :

Vigna sum, vigna sarai,
La mia vigna non fali mai.


Pierre répliqua sur-le-champ (et la paix fut faite) :

Se cossi é coma è narra,
Plu amo la vigna che fis mai[1].


Brantôme trouva ce petit trait de bonne prise : il le glissa dans ses Dames galantes, et substitua le marquis de Pescaive à l’empereur Frédéric, Cependant l’anecdote, est bien plus ancienne que

  1. C’est presque de l’ancien français. Pierre des Vignes dit, en équivoquant sur son nom : « Une vigne ai plantée, à travers est entré qui la vigne m’a gâtée ; ils ont fait grand péché, de faire ains que tant mal. » La femme répond : « Vigne suis, vigne serai, ma vigne ne faillit jamais, » Pierre consolé s’écrie : « Si est ainsi comme est narré, plus aime la vigne que fis Jamais. »