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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/645

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Renvoyer la balle, c’est très joli sans doute, mais quel était donc le vrai gagnant à ce jeu parlementaire ? Ce n’étaient pas plus les amis de Palmerston que les amis de Russell, c’étaient les tories. Il est vrai que le gain inattendu de cette singulière partie ne devait pas rester longtemps aux mains qui le recueillirent.

Lord Derby, chargé par la reine de former un ministère, s’en acquitta de son mieux malgré les divisions du parlement. C’est le 20 février que le ministère Russell était tombé, le 27 l’administration nouvelle entrait en fonctions. Lord Malmesbury avait les affaires étrangères, M. Disraeli était chancelier de l’échiquier. Avant de constituer ainsi son personnel, lord Derby avait invité lord Palmerston à reprendre les sceaux du foreign office, mais ce n’était là probablement qu’une démarche de courtoisie auprès de l’homme qui avait remporté la victoire du 20 février ; lord Palmerston pouvait-il accepter une place dans un ministère exclusivement composé de protectionistes ? Whig nouveau, à demi radical, poussant les doctrines libérales à leur limite extrême afin de combattre plus efficacement les chartistes, il ne pouvait hésiter un instant à décliner les offres courtoises de lord Derby. Il prévoyait bien d’ailleurs que ce ministère ne durerait pas une année, qu’il serait obligé de dissoudre la chambre, l’émiettement des partis ne permettant plus d’y trouver un point d’appui solide, et que, les élections finies, il succomberait devant le parlement nouveau. Il était possible, en effet, que ce parlement fût aussi morcelé que le précédent, il n’était pas possible qu’il fût moins libéral. C’est ce qui arriva. La chambre fut dissoute le 1er juillet 1852, et, les élections ayant amené à Westminster une assemblée composée d’élémens très divers, mais également hostiles aux protectionistes, la première occasion suffit pour mettre le gouvernement en minorité. Quelle que fût l’habileté de M. Disraeli en matière de finances, quel que fût son merveilleux talent de parole, le moindre soupçon d’un retour en arrière sur la question des céréales devait le renverser.

C’est alors que la reine conçut la pensée de former un grand ministère où tous les groupes conservateurs et libéraux, depuis les nobles disciples de Robert Peel jusqu’aux turbulens amis de Palmerston, pussent siéger à l’aise. Palmerston ne demandait pas mieux que d’y entrer, à la condition que son noble ami lord John Russell n’y tînt pas le premier rang. Il voulait bien servir avec lui, auprès de lui, en bonnes relations de voisinage, il ne voulait pas servir sous ses ordres. « Je ne garde pas, disait-il, la moindre rancune de ce qu’il m’a fait, mais il ne m’inspire plus confiance. » Il le déclarait à lord John lui-même, à Johnny, comme il l’appelle dans ses lettres, et Johnny ne prenait pis la chose en mauvaise part, « attendu, nous dit naïvement le biographe de Palmerston, que la