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pèce d’Athénée, mais le propriétaire du sol s’y refusa obstinément ; seulement il permit qu’on scellât sur la façade un médaillon de Cervantes, exécuté par ordre du roi et à ses frais, par D. Esteban de Agreda, directeur de l’Académie des beaux-arts. L’inscription est trop longue et n’est pas conçue dans le style lapidaire : « Ici vécut et mourut Michel de Cervantes Saavedra, dont le monde admire le génie, décédé en 1616. » Pour l’édification des étrangers « curieux inspectateurs, » comme dit M. Charitides, des inscriptions et des monumens, nous ajouterons qu’autrefois la porte de Cervantes ne s’ouvrait pas sur la rue de Francos, à laquelle on a donné son nom, mais sur la calle del Leon, où elle portait le no 20,

Ferdinand VII, qui voulait honorer la mémoire de Cervantes, avait commandé sa statue, pour être élevée sur la place de Santa-Catalina (aujourd’hui place des Cortès), au sculpteur don Antonio Sola, directeur de l’École espagnole à Rome. Ce ne fut que deux ans après la mort du roi que cette statue fut terminée et au beau milieu de la guerre civile. Elle est en bronze, plus grande que nature. Cervantes est debout, en habit de cavalier, maillot, culottes courtes et bouffantes, un manuscrit dans la main droite ; la gauche, appuyée sur le pommeau de l’épée, est cachée par les plis d’un manteau court, invention qui a trouvé des admirateurs, comme celle de peindre un lieutenant de profil, de façon à ne pas laisser voir la contre-épaulette. Le piédestal nous semble trop élevé et d’une proportion peu heureuse. On y lit :


Michaeli de Cervantes
Saavedra
Hispaniæ Scriptorum
Priiicipi
Anno
MDCCCXXXV.


Nous ne croyons pas que notre cher maître, M. Hase, eût approuvé Hispaniœ scriptorum. Une traduction espagnole occupe la face postérieure du piédestal. Sur les deux faces latérales, on voit deux bas-reliefs médiocres, la première sortie de Don Quichotte, et l’aventure des lions.

La veuve de Cervantes publia, en 1617, le roman inachevé de Persiles y Sigismunda, imitation de l’insipide Théagène et Chariclée d’Héliodore ; il a tous les défauts qu’on a reprochés à l’auteur du Don Quichotte, sans les admirables qualités qui les rachètent. Le style même n’a ni la facilité ni la grâce de ses autres productions. C’est une suite d’aventures invraisemblables, interrompues par de longs épisodes jetés comme au hasard au milieu de l’action principale. Peu de lecteurs auraient le courage d’aller jusqu’au bout du roman ; aucun, arrivé à la hn, ne se souviendrait du commencement.