Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’étrange faiblesse et des défaillances inattendues du grand empire slave. Pour nombre d’esprits enclins aux conclusions hâtives, l’été de 1877 avait mis définitivement à nu l’incurable débilité du colosse du nord. La promptitude des Russes à se relever de leurs premiers insuccès, leur vigueur à reprendre l’offensive en Asie comme en Europe, ont montré ce qu’il y avait d’erreur ou d’exagération dans un pareil diagnostic. L’étude de l’administration impériale n’en fait pas moins connaître quelques-unes des graves difficultés contre lesquelles doit aujourd’hui lutter le gouvernement de Saint-Pétersbourg. Tout se tient en effet dans les états comme dans les corps vivans, et les défauts d’une administration civile peuvent avoir sur les champs de bataille un retentissant contre-coup[1].


I.

L’administration est d’autant plus malaisée qu’un pays est plus grand et que la population y est moins dense. Les dimensions de l’empire russe et le chiffre relativement faible de ses habitans annoncent les obstacles qu’y rencontre une administration régulière. Dans un état qui couvre une moitié de l’Europe et une moitié de l’Asie, il semble que le pouvoir central doive être contraint de réduire sa tâche et de renoncer à toutes les fonctions dont les distances le rendent incapable. L’orbite du pouvoir impérial est si vaste qu’il paraît hors d’état de porter partout les yeux, d’étendre partout la main. La difficulté est d’autant plus grande qu’au lieu d’occuper le centre géographique de l’empire, la capitale est reléguée sur la circonférence. Dans un tel État, avec une capitale ainsi placée, la centralisation administrative paraît un contre-sens, presque une impossibilité. Or nulle part peut-être la centralisation n’est plus ancienne, plus invétérée, plus excessive que dans ce pays qui semble si peu fait pour elle. Un examen attentif explique les causes de cette apparente contradiction des mœurs nationales et de la nature des choses.

« De Perm à la Tauride, des rocs glacés de la Finlande à la brûlante Colchide, des tours ébranlées du Kremlin à la muraille de la Chine immobile[2], » toutes les affaires viennent aboutir aux bureaux des massifs palais des quais de la Néva. Les deux versans du Caucase, réunis sous le titre de lieutenance (namêsnitchestvo), en une sorte de vice-royauté, échappent seuls presque entièrement à cette

  1. Sur l’armée et le système militaire de la Russie, voyez la Revue du 15 juin 1877.
  2. ………..

     Ot Permi de Tavridi,
    Ot finskikh khladnikh skal do plammennoï Kolkhidi, etc.,

    vers de Pouchkine.