Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la défense d’un procès, et s’arrogeant, après l’avoir gagné par un artifice de chicane, le plus clair des dépouilles de la partie adverse, n’est atteint ni par la loi, ni par les rigueurs plus salutaires encore de l’opinion : on se contente de voir en lui un garçon déluré. En revanche, quiconque est convaincu de professer un insolent mépris des richesses et laisse passer une occasion de trafic à sa portée sans en ramasser les bénéfices risque fort d’être traité de zonzo, ce qui signifie tout uniment imbécile. C’est un honneur pour la nature humaine que cette générale indulgence pour les coureurs de fortune n’empêche pas de rencontrer des hommes qui aiment la probité comme les chats aiment la propreté, pour elle-même. La république argentine attache une grande importance à relever chez elle le niveau de l’instruction : elle a eu la sagesse de placer deux fois de suite à sa tête des présidens qui s’intitulaient eux-mêmes des éducationnistes, plutôt que des hommes politiques. L’enseignement, qui y est gratuit à tous ses degrés, a été depuis dix ans la préoccupation favorite des chefs de l’état. Il ne faut pas qu’elle oublie que l’éducation, si largement répandue, doit avoir pour but, en même temps que de dissiper l’ignorance, de réagir contre les aspirations terre à terre de ce milieu mercantile. La passion du gain et les habitudes morales qu’elle développe peuvent produire l’éphémère prospérité matérielle d’une agglomération de marchands; elles ne font pas éclore les vertus qui sont non-seulement l’honneur, mais la vraie force des peuples.

La commission de frontière se mit à la besogne avec ardeur, et tout d’abord elle trouva le moyen de faire beaucoup avec peu d’argent. Elle résolut d’employer au fossé quatre régimens, c’est-à-dire environ 800 hommes de garde nationale mobilisés expressément à cet effet. La garde nationale est une des originalités les plus remarquables des républiques sud-américaines; tout le monde en fait partie, et on peut mettre en quelques jours la nation sur pied. Le but est de placer les institutions et le territoire sous la sauvegarde des citoyens. Rien de plus démocratique à coup sûr en principe; dans l’application, il faut en rabattre. Au début, la garde nationale fut l’instrument de désordres perpétuels : c’est en vain que la constitution avait entouré de précautions la réunion des milices rurales ; qu’une illégalité audacieuse, mais fréquente, livrât à un ambitieux de province le petit ressort qui mettait la vaste machine en branle, il n’en fallait pas davantage pour avoir des semblans de bataillons arborant à travers champs, et la lance au poing, des semblans de programmes politiques. On appelait cela plaisamment une patriada, soit par allusion à l’abus qu’on faisait en pareil cas des tirades sur la patrie et le patriotisme, soit parce