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l’offre et de la demande faite avec plus ou moins de détails. Toute cette partie de la science, où on voulait la renfermer tout entière, a été exposée dans certains manuels, dans celui de M. Joseph Garnier par exemple, avec tant de clarté et de méthode, qu’il n’y a rien à y reprendre, et qu’ainsi on pourrait considérer l’économie politique comme arrivée à son plein achèvement, tandis qu’au contraire ce n’en est que le commencement. Mais c’est en se servant de ces élémens que l’on peut aborder l’étude du vrai problème économique, c’est-à-dire chercher quelles sont les lois et les institutions que les sociétés doivent adopter pour arriver au bien-être.

Dans cet ordre se présente une première question où l’on voit apparaître le rapport entre l’économie politique et la politique. Quelle est la forme de gouvernement le plus favorable à l’accroissement de la richesse ? Ce point n’est pas traité dans les manuels, mais certains auteurs, comme Montesquieu et Tocqueville, y ont jeté de vives clartés Je citerai par exemple, dans l’Esprit des lois, des mots comme ceux-ci : « Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté. » — « Le despotisme est semblable au sauvage qui coupe l’arbre pour en cueillir le fruit. » Citons encore les admirables chapitres : Comment les lois établissent l’égalité dans la démocratie (V. 6), et celui intitulé du Luxe à la Chine, satire sanglante des abus de l’ancien régime[1] ; puis le livre treizième : des Rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté ; le dix-huitième : des Lois dans les rapports qu’elles ont avec la nature du terrain ; le vingtième : des Lois dans les rapports qu’elles ont avec le commerce, et tout le livre qui traite de la population.

Rousseau a parfois aussi à ce sujet des vues très profondes, comme lorsqu’il montre par l’exemple de la Grèce, de Rome et des républiques italiennes que les agitations de la liberté sont moins funestes que le repos du despotisme : « Les émeutes, les guerres civiles, effarouchent beaucoup les chefs ; mais elles ne font pas le vrai malheur des peuples… C’est de leur état permanent que naissent leurs prospérités ou leurs calamités réelles. Quand tout reste écrasé sous le joug, c’est alors que tout dépérit et que les chefs les détruisent à leur aise, ubi soliludinem faciunt, pacem appellant. Autrefois la Grèce florissait au sein des plus cruelles guerres ; le

  1. « Nos anciens, dit un empereur de la famille des Tang, tenaient pour maxime que, s’il y avait un homme qui ne labourât point et une femme qui ne s’occupât point à filer, quelqu’un souffrait le froid ou la faim dans l’empire, et, sur ce principe, il fit détruire une infinité de monastères de bonzes. » — « Tant d’hommes étant occupés à faire des habits pour un seul, le moyen qu’il n’y ait bien des gens qui manquent d’habits ? Il y a dix gens qui mangent le revenu des terres contre un laboureur, le moyen qu’il n’y ait bien des gens qui manquent d’alimens ? »