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nombreux personnages. En ce sens aussi, nous pouvons dire que les Florentins ont fait de la sculpture pittoresque.

De cette attention et de cette importance toute particulière ainsi prêtées à l’expression et aux traits du visage, il est résulté que les Florentins ont commencé par où les Grecs ont fini, par le portrait. Si loin que l’on remonte dans l’histoire de la sculpture toscane, on ne trouve pas un temps où les Florentins aient tendu, comme les Grecs, vers ce que la critique d’art pourrait appeler, elle aussi, les universaux ; ils n’ont point débuté par chercher à saisir les caractères généraux de la forme pour les fixer dans des types qui soient supérieurs à la réalité d’où les tire l’observation. Ce qui a tout d’abord attiré et séduit les Toscans, c’est la vérité particulière ; ils l’ont étudiée et poursuivie dans le portrait, dans l’image du personnage contemporain qui venait, en chair et en os, poser devant eux, dans l’image du personnage historique ou légendaire qu’ils étaient amenés à représenter, lorsqu’ils avaient à décorer des tombes ou des palais, des cloîtres ou des églises.

Le Musée national renferme, dans les salles du second étage, nombre de beaux portraits du XVe siècle, en marbre, en bronze, en terre cuite ; il suffira de citer le Pierre de Medicis de Nino da Fiesole, le Marino Socino du Vecchietta, un Galeas Marie Sforza, d’un maître inconnu, enfin deux bustes attribués à Antonio Pollaiuolo. L’un d’eux représente un homme d’un âge mûr, dont les longs cheveux, tombant jusque sur les sourcils, encadrent merveilleusement un visage énergique et pensif. On voudrait savoir le nom de ce personnage, tant est vif et ineffaçable le souvenir qu’il laisse dans l’esprit ! On n’admet pas volontiers que, même dans un siècle si riche en beaux génies, il n’ait pas marqué comme politique ou comme artiste, soit par la prudence avisée dans le conseil, soit par la profondeur de l’inspiration et l’originalité de la pensée.

Cette tradition se continua dans le siècle suivant ; elle y est représentée, pour cette époque, par des bustes dont aucun ne vaut, il est vrai, le chef-d’œuvre du Pollaiuolo, mais qui ont encore une singulière fermeté. En ce genre, on remarquera le portrait d’un farouche condottiere, Jean de Médicis, dit Jean des bandes noires ou le Grand diable ; on s’arrêtera devant celui du duc Côme Ier, qui est de Benvenuto Cellini. Cette dernière effîgie nous offre des traits intelligens et durs, on peut même dire sinistres, qui s’accordent bien avec ce que l’histoire nous apprend du règne de ce méchant homme, grand amateur d’antiques, grand protecteur dés arts[1]. On ne cherche

  1. Sur le goût de ce prince pour les antiquités, sur les découvertes qui se firent pendant son règne à Arezzo et dans d’autres parties de la Toscane et qui enrichirent ses collections, on trouvera des détails curieux dans le premier chapitre de l’ouvrage de M. Aurelio Gotti.