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là le couronnement naturel de sa politique et de son pontificat. On a dit qu’en convoquant un concile la cour de Rome n’avait aucun dessein de ce genre, on en a donné comme preuve que le schema de l’infaillibilité n’avait été introduit qu’au cours même de la session[1]. Qu’importe en vérité ? Était-ce décemment au pape de mettre à l’ordre du jour l’infaillibilité papale ? Le Vatican savait que, pour faire proclamer l’infaillibilité par un concile, il n’avait qu’à en réunir un. En faisant de la dignité épiscopale la récompense des zélateurs de l’ultramontanisme, la cour de Rome ne s’était-elle pas dès longtemps assuré une majorité qu’elle renforçait encore en faisant siéger à côté des vrais évêques tout un épiscopat sans diocèse, tous ces évêques in partibus qui ne représentaient aucune église et aucune tradition ?

Pour se faire décerner un titre en vain convoité par les plus grands de ses prédécesseurs, Pie IX n’eut du reste besoin d’aucune intrigue. L’infaillibilité pontificale semblait moins la cause du Vatican que la cause de la presse et du clergé ultramontains de tout pays ; l’ultramontanisme militant, qui dominait l’église, s’exaltait lui-même en exaltant la papauté ; pour lui, la nouvelle définition était une victoire de parti, c’était la défaite impatiemment attendue d’adversaires détestés. Pie IX l’eût voulu, qu’il eût eu de la peine à empêcher le concile de se dépouiller à son profit. Une majorité intempérante et passionnée, faisant fi de la sagesse mondaine comme de la critique et de l’histoire, mettant sa gloire dans l’asservissement de l’épiscopat, croyant, en abaissant l’église au pied de la chaire romaine, relever dans l’univers l’autorité ecclésiastique, s’imaginant qu’en décrétant l’infaillibilité du pape elle décrétait le prochain triomphe de l’église et raffermissait à jamais le trône pontifical ; une minorité intimidée et découragée, embarrassée dans sa propre circonspection et paralysée par ses scrupules, redoutant par-dessus tout les discordes intestines devant l’ennemi du dehors, et résignée d’avance à toutes les défaites et à toutes les humiliations pour maintenir l’unité, — tel était le concile du Vatican. Les adversaires du dogme de l’infaillibilité n’osaient même le contester en principe ; la plupart se bornaient à en nier l’opportunité. La raison, l’éloquence, la science, ne leur manquaient point, mais sous le règne de Pie IX, l’opportunisme, ailleurs mis en honneur par les politiques, devait succomber à Rome.

Le nouvel article de foi répondait aux instincts mystiques aussi bien qu’aux instincts autoritaires de l’ultramontanisme contemporain. En passant du corps de l’église à son chef, le privilège de

  1. Voyez par exemple le cardinal Manning, Nineteenth Century, avril et mai 1877.