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en outre de bonnes terres au soleil dans le département de l’Yonne. Faute d’avoir établi à Paris quelques prescriptions indispensables, on laisse végéter dans les garnis une population d’enfans qui vit dans des conditions également déplorables au point de vue de la moralité et au point de vue de l’hygiène. Il est impossible que le vagabondage n’y fasse pas d’importantes recrues. Lorsque le logis paternel est un taudis sans air et sans lumière où la famille au complet peut à peine tenir et ne saurait se mouvoir, il ne faut pas s’étonner que les enfans s’en éloignent aussitôt que leurs jambes peuvent les porter, et, lorsque les habitués du garni sont en grande partie des vagabonds dont les mœurs et les habitudes leur sont familières, il est plus facile pour ces enfans de suivre sur leurs traces le chemin de la rue que d’apprendre celui de l’école. L’enfant qui a commencé au garni, finira au garni, à moins qu’il ne rencontre sur sa route l’hospitalité de la prison.

Les habitans passagers des garnis qui constituent la population nomade de Paris, ne représentent malheureusement pas à eux seuls la population misérable. Bien des souffrances se cachent aussi dans ces petits appartemens que la première obligation du locataire est de remplir de ses pauvres meubles et dont le terme est pour lui une si lourde préoccupation. Il est plus difficile encore de pénétrer le secret de ces souffrances, en évitant de donner à sa visite la forme d’une curiosité blessante. Pour y parvenir, j’ai pris le parti d’accompagner dans quelques-unes de leurs visites les membres de la commission des logemens insalubres ou les commissaires-voyers chargés de la vérification des travaux ordonnés par cette commission. C’est ainsi que j’ai pu pénétrer dans ce qu’il y a certainement de plus misérable parmi les logemens particuliers de Paris, et comparer ensemble ce que j’appellerai la vieille et la nouvelle misère, celle qui se cache dans les maisons à six étages au centre des quartiers populeux, et celle qui s’étale dans les masures nouvellement construites entre l’ancienne enceinte de Paris et les fortifications. Il y aurait beaucoup à dire à propos de l’influence qu’ont exercée sur la condition de la population parisienne les percemens si vigoureusement exécutés sous l’empire à travers les quartiers les plus misérables de Paris. Sans doute en éventrant des pâtés de maisons enchevêtrées les unes dans les autres, en coupant par de larges voies de communication un dédale de ruelles, en traçant des squares plantés d’arbres et arrosés d’eau, on a fait pénétrer dans des régions qui en étaient dépourvues l’air, la lumière, la gaîté ; mais ce n’est là dans une certaine mesure qu’un trompe-l’œil, et il n’y a pas bien loin des somptueuses façades du boulevard Sébastopol ou de la rue Monge aux taudis de la rue de Venise, de l’impasse Berthault ou de la rue