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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/781

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bénéfice des innombrables dépêches diplomatiques qu’il a souvent inspirées, toujours rédigées, mais que Louis XIV signait, on ne l’a pas dédommagé en lui donnant le mérite de toutes celles qu’il a signées comme secrétaire d’état chargé de la marine, avant que Colbert occupât ces hautes fonctions. Les historiens du grand administrateur ont fait remonter son action bien au-delà de l’époque où elle a été exercée pleinement. Lui faisant crédit trop tôt, ils ont mis à son actif tout ce qu’a fait Lionne, sous les ordres duquel Colbert fut d’abord placé, parce qu’ils ont cru que celui qui devait plus tard être un ministre incomparable n’a pas pu être un subalterne inspiré et dirigé. Il en est résulté une double iniquité : Lionne a passé dans l’histoire pour n’avoir mis que son nom au bas des documens administratifs qui portent sa signature, et Louis XIV a gardé tout le mérite des dépêches diplomatiques qu’il a revêtues de son seing. Louis XIV enfant ne pouvait pas absorber Mazarin, qui devant la postérité n’a rien perdu des grandes choses qu’il a accomplies. Mais, dès la mort de ce ministre, il a confisqué à son profit dans le rayonnement de sa gloire la part très légitime qui revient à Hugues de Lionne. Si Colbert et Louvois ont échappé à cette absorption injuste, c’est qu’ils ont vécu plus longtemps; c’est aussi que leur action s’est exercée sur un domaine particulier où ils étaient passés maîtres. Là, le premier dans toutes les matières administratives, le second dans toutes les choses tenant à la guerre, ils ont pu indiquer clairement leur influence décisive, incontestée, laisser leur forte empreinte, en un mot marquer leur route qu’ont retracée plus tard, en les mettant le plus possible en relief, leurs historiens particuliers. Il est bien autrement difficile de suivre les traces un peu éparses d’un diplomate, surtout quand il écrit, qu’il parle, qu’il agit au nom d’un roi impatient de s’illustrer lui-même, désireux d’occuper le premier rang et singulièrement jaloux de son autorité.

Est-ce à dire que nous voulions contester à Louis XIV la grande renommée qu’il s’est légitimement acquise par la première moitié de son règne, renommée qu’obscurcissent, sans l’effacer, les fautes capitales de la fin? Assurément non. Ce prince, qui, dès le lendemain de la mort de Mazarin, annonça la résolution, à laquelle il fut fidèle durant cinquante-quatre ans, de donner chaque jour six heures aux affaires du royaume et de tout voir de ce que lui feraient signer ses ministres, fut, avec Louis XIII, le plus appliqué de tous les rois. Doué d’un caractère persévérant, inflexible, il a eu, comme son père, l’esprit de détail, et, de plus que lui, un véritable sentiment de grandeur qui est le trait distinctif de son règne. Il poussait l’idolâtrie de la dignité royale jusqu’à la superstition, croyant que les monarques reçoivent de Dieu des qualités particulières