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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/125

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pût abriter derrière les barricades et opposer à la marche de l’armée française. — Ce furent Alfred Bernard et Joseph Hinard qui, théâtralement, une torche à la main et aux cris de : Vive la.commune ! mirent le feu aux foyers préparés. Il était alors environ trois heures du matin.

Le pavillon de Valois, saturé de pétrole à tous les étages, s’enflamma avec une rapidité extraordinaire, et bientôt les vitres éclatées laissèrent échapper les tourbillons de feu et de fumée. Les habitans du quartier, éperdus, sachant que, si les flammes n’étaient maîtrisées, tout le Palais-Royal, le Théâtre-Français, la rue de Richelieu, pouvaient brûler, se désespéraient et n’osaient sortir de chez eux, car des fédérés embusqués dans les combles de l’hôtel du Louvre et derrière une barricade de la rue de Rivoli tiraient sans merci sur tout individu qui faisait mine de vouloir combattre l’incendie. Cela n’arrêta pas les hommes courageux qui risquèrent leur vie pour sauver le quartier tout entier de la ruine certaine dont il était menacé. Le premier qui prit l’initiative du sauvetage fut M. Alfred Lesaché, graveur dessinateur ; demeurant rue de Valois, il comprenait mieux que nul autre l’imminence du péril. Il réunit quelques hommes de bonne volonté ; on gréa une pompe que plusieurs fois il fallut abandonner à cause de la fusillade que les fédérés dirigeaient sur les sauveteurs ; des femmes, de pauvres vieux hommes tremblotans et courbés apportaient des seaux d’eau ; on cherchait des échelles, et l’on n’en trouvait pas. Il fallait faire la part du feu, opérer des coupures dans les murailles, étouffer les foyers incandescens en y poussant les cloisons de briques ; ce n’était pas l’énergie qui faisait défaut, c’étaient les outils, c’étaient les bras. En sacrifiant le pavillon de Valois, on pouvait sauver le reste du palais et empêcher l’incendie de gagner la Comédie-Française. Si le Théâtre-Français, tout rempli de décors, de pans de bois, d’étoffes, de papiers, était seulement touché par le feu, c’en était fait, tout était perdu. Pour éviter un tel désastre, il fallait du monde ; où donc en trouver ? A la Banque. Le marquis de Plœuc n’était point sans crainte ; si le feu se communiquait à tout le Palais-Royal, s’il envahissait les boutiques de parfumeur, les restaurateurs chez lesquels l’alcool eût avivé les flammes, s’il atteignait les approches des vieilles et hautes maisons où le passage Radziwill dessine les zigzags que l’on sait, la Banque elle-même pouvait se trouver singulièrement compromise ; il pensait, en outre, que c’était un devoir d’humanité de combattre l’incendie et de le limiter à la part que l’on ne pourrait lui arracher. Il avait sous la main les trente ouvriers que l’on gardait en hospitalité depuis le lundi matin, il résolut de les utiliser et de les