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retrouve dans ces essais leur dextérité de main ; mais on y sent l’effort, l’étude, une sorte de fatigue. Au lieu de l’inspiration primesautière d’un artiste, on devine le patient travail d’un ouvrier. Le mérite d’exécution reste, du moins dans les belles pièces réellement achevées ; mais le caractère et le style disparaissent. Les sujets demeurent les mêmes, car les Japonais connaissent le prestige qu’exerce sur nous leur iconographie bizarre ; ils n’ont donc garde d’en changer les épisodes, et nous resservent en 1878 les mêmes figurines hiératiques de demi-dieux, les mêmes types conventionnels de guerriers, les mêmes caricatures qu’ils représentaient il y a deux siècles ; mais la verve espiègle, qui animait les personnages sous le ciseau ou le pinceau alerte des inventeurs, fait place à une tension visible et fastidieuse. Ces boutades, traitées si sérieusement, perdent l’attrait d’impromptu qu’elles ont dans les légères esquisses des vieux peintres. Il semble qu’on s’est donné trop de mal pour nous faire rire.

L’art japonais, tout en se copiant lui-même, a renoncé à l’antique sobriété de tons qui le caractérisait, il essaie de suppléer au mérite de la nouveauté par celui de la matière. Certes ce n’est pas pour des demeures japonaises que l’on eût songé à confectionner ces paravens chargés de nacre et de métaux, si lourds et si peu maniables. Un plateau représente Benkeï, l’un des héros favoris de la légende, au moment où il vient de dérober la cloche d’un poids formidable que l’on montre encore au temple de Midéra, près du lac Biwa. Tout joyeux de sa capture, il gambade à travers champs, en faisant résonner l’énorme bloc de métal. C’est un sujet souvent traité avec une vivacité amusante sur des fermoirs nielles de quelques centimètres carrés. Ici la figure a environ 20 centimètres ; le visage est en ivoire, la cloche en bronze, le corps, les yeux, les cheveux, d’autant de matières différentes. Mais plus de mouvement, plus de vérité ! le personnage de bouffon devient laid, et sa grimage agrandie n’est plus tolérable.

Il faudrait encore dire un mot des ivoires, des tissus et broderies de soie, des solides papiers mordorés semblables au cuir de Cordoue, qui trouveraient leur emploi dans nos appartemens sans leur insupportable odeur, enfin de mille riens charmans semés de tous côtés, avec une entente parfaite de la mise en scène qui révélerait à elle seule un tempérament d’artiste chez chaque exposant ; mais nous avons hâte de formuler le jugement qui se dégage de cette première partie de notre visite.

L’Orient est la patrie des arts décoratifs. Ils y étaient nés et avaient grandi sous la lumière transparente de son ciel, bien avant que nos pères eussent songé à orner autre chose que leur armure de bataille et le harnachement de leur destrier. Encore aujourd’hui, nous