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Or la comédie d’Aristophane a les formes si peu respectueuses, et, quel que soit son but, elle se livre en route à de telles fantaisies, que quelques-uns risquaient de s’y tromper. Quand, par exemple, à l’explication de la pluie par les nuages est opposée, dans une plaisanterie difficile à reproduire, la croyance populaire à l’action divine de Zeus, le souverain du ciel, de quel côté est le scandale ? Le ridicule est distribué avec une impartialité peu rassurante pour l’orthodoxie du poète. Il faut donc à ce passage et à d’autres une contre-partie ; il faut que les morceaux les plus importans produisent des impressions très nettes dans le sens de la vraie pensée d’Aristophane. C’est pour cela que la parabase des Nuées, comme celle des Chevaliers, contient des invocations religieuses d’un beau caractère, où de même se glisse un trait destiné à rappeler la fiction sur laquelle repose la fable comique :

« J’appelle au milieu de notre chœur, d’abord le roi céleste, le souverain des dieux, le grand Zeus ; puis la divinité redoutable, dont la force immense, armée du trident, soulève comme avec un levier la terre et la mer salée ; et notre père glorieux, l’auguste Éther, le nourricier universel ; et le dieu conducteur d’un char, dont la clarté resplendissante rayonne sur toute la terre, grand parmi les divinités et les hommes. »

Si, parmi ces grands dieux de la nature consacrés par la foi antique, l’Éther, père des nuées, n’avait pas une place, en quoi cette invocation différerait-elle des hymnes les plus religieux ? On ne saisit plus aucune différence dans la seconde strophe, où les dieux des élémens ont fait place aux divinités plus personnelles, honorées comme les principaux d’entre eux, Jupiter et Neptune, dans les grands sanctuaires de la Grèce : « Viens, ô viens, Phébus, dieu de Délos, qui occupes la roche élevée du Cynthe ; et toi, déesse bienheureuse qui habites à Éphèse la demeure d’or où les vierges des Lydiens te rendent d’éclatans hommages ; viens aussi, ô déesse de notre patrie, dont la main gouverne l’égide, patronne de notre ville, ô Athéné ; et toi qui, dans ta marche souveraine sur les rochers du Parnasse, y allumes les feux des torches, resplendissant parmi les bacchantes de Delphes, ô dieu du cômos, Dionysos ! »

La comédie use de son droit en choisissant parmi les épithètes de Dionysos celle qui rappelle les plaisirs bachiques. Elle emprunte d’ailleurs la forme solennelle des hymnes d’invocation, consacrée depuis le vieux Terpandre, et le ton de la prière reste grave. C’est une sorte de litanie analogue à celle qui remplit le premier chœur des Sept Chefs. Elle n’en a ni le développement abondant ni l’accent pathétique ; mais elle appartient à la même religion.

C’est cette religion, la religion populaire et traditionnelle, celle