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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

qui est de tout temps dans les croyances, dans le culte, dans les mœurs, dans le langage, qui habite dans les temples et remplit de son inspiration les arts et la poésie, qu’Aristophane veut défendre. Son dessein est marqué par l’invention de la fable, par le sens général des principales scènes, surtout de la scène capitale, la discussion du Juste et de l’Injuste, enfin par le dénoûment. Ceci est une exception dans l’ancienne comédie, que terminait ordinairement une procession joyeuse en souvenir du cômos, d’où elle était sortie. Les Nuées, ces filles de l’impalpable éther, ces déesses de la subtilité, ces divinités révolutionnaires qui, au dire des sophistes, ont avec le tourbillon détrôné Jupiter, se révèlent à la fin comme des ministres de la justice divine. Le pauvre Strepsiade, poursuivi par ses créanciers, ayant de nouveaux procès sur les bras pour avoir trop bien profité des leçons d’impudence et de mensonge qu’il a été chercher, enfin battu et réduit au silence par son fils, meilleur sophiste que lui, s’en prend aux Nuées :

« C’est votre faute, leur dit-il, si j’en suis là ; c’est parce que je m’en suis remis à votre direction. — C’est toi-même, toi seul qui t’es attiré ces maux par ta propension aux actions coupables. — Hé ! pourquoi ne le disiez-vous pas, au lieu d’exciter en le leurrant d’espérances un homme de la campagne, un vieillard ? — C’est ainsi que nous agissons toujours à l’égard de celui que nous voyons céder à l’amour du mal, jusqu’à ce que nous l’ayons précipité à sa perte pour lui apprendre à craindre les dieux. »

Strepsiade reconnaît la justice de cette sentence, et n’a d’autre consolation que de mettre le feu à l’école de Socrate. Ces dernières paroles des Nuées ne sont nullement en contradiction avec le chant qui accompagnait leur entrée en scène :

« Vierges qui portons les pluies, allons visiter la contrée brillante de Pallas, l’aimable terre de Cécrops, fertile en hommes valeureux, où s’accomplissent les augustes cérémonies, protégées par le silence, dans le secret du sanctuaire mystique ouvert aux saintes initiations ; où, en l’honneur des dieux célestes, s’élèvent les temples et les statues, s’avancent les processions saintes, se célèbrent en toute saison les sacrifices couronnés de fleurs et les fêtes brillantes ; où, quand arrive le printemps, le culte de Bromios fait retentir les chants mélodieux des chœurs rivaux et la voix sonore des flûtes. »

Voilà l’image brillante et complète de cette vie religieuse qui multiplie dans Athènes les hommages rendus sous toutes les formes aux grandes divinités des enfers et du ciel. Cette terre pieuse entre toutes, les Nuées y sont venues en définitive pour punir les impies. Ce sont eux qui les y appelaient, mais elles se sont tournées contre