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nationaux, et les Méhul, les Boïeldieu, les Hérold, les Auber, ayant eu le tort irréparable de se laisser enterrer, se trouvaient par ce fait, sinon absolument écartés, au moins traités en personnages sans conséquence, les jeunes seuls, les inconnus et les ratés, ayant droit à tous les empressemens comme à tous les honneurs. Il semblerait que c’est tout le contraire qui devrait avoir lieu. Il ne s’agit point ici de jouer sur les mots ni de faire les beaux esprits : que nos musiciens soient ou non des exposans, peu importe ; ce qu’on veut, je présume, c’est affirmer devant l’Europe, qui nous visite en ce moment, le caractère national de notre art, et prouver qu’en musique la France a son génie qui lui est propre. Dès lors, quoi de plus simple que de s’adresser aux représentans directs de cette nationalité ? Je ne veux ravaler aucun talent et sais aussi bien que personne quel intérêt méritent certaines œuvres symphoniques de fraîche date ; mais on m’accordera pourtant que ces œuvres, toutes systématiques, toutes conçues à l’imitation des Allemands, sont fort peu. de nature à renseigner les étrangers sur la valeur de notre école, et que peut-être il y aurait eu plus d’avantage à mettre en avant le passé. De l’exclusivisme, il n’en fallait ni pour les étrangers, ni pour les nationaux, ni pour les morts, ni pour les vivans, et les choses auraient dû se passer comme elles se passent l’hiver aux concerts Pasdeloup et Colonne, où nous voyons les symphonies mythologiques de M. Saint-Saëns et les suites d’orchestre de M. Massenet tenir leur place entre l’ouverture de Coriolan et le nocturne des Troyens.

D’ailleurs il y a nouveaux et nouveaux, et je me demande ce que les hommes distingués que je viens de nommer ont à gagner aux singuliers voisinages qui leur sont parfois infligés. Cette salle du Trocadéro, très spacieuse, très festonnée d’or et très magnifique, mais d’une sonorité ondoyante et diffuse de cathédrale, voilà déjà que le public l’appelle « le salon des refusés. » Tous les découragés de la fortune et du succès semblent en effet s’y être donné rendez-vous, comme si l’administration n’avait trouvé rien de mieux que de les attirer à soi : Sinite parvulos, pour les dédommager de leurs mésaventures théâtrales et autres. Que viennent faire là ces finales d’opéras tombés, ces fragmens de vieux ballets et ces pastorales surannées, bagage hors d’emploi, dès longtemps relégué sous la remise, et qu’on en tire pour donner satisfaction aux amis de l’auteur, membre de quelque commission, car c’est la plaie de la musique et des théâtres que ces commissions inévitablement composées des mêmes personnalités remuantes. Jouez tant qu’il vous plaira le Désert, Marie-Magdeleine et les Érinnyes, la Damnation de Faust et les Troyens ; mais de grâce laissez dormir ce qui est