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mort ou plutôt ce qui n’a jamais vécu. J’ai peine à m’expliquer quel inconvénient tel ouvrage de M. Gounod ou de M. Guiraud pourrait bien avoir à souffrir de sa juxtaposition, avec un fragment d’Hérold ou de Weber. Le cas se présente l’hiver chaque dimanche, tant au Conservatoire que chez Pasdeloup, et le répertoire de notre jeune école ne s’en porte pas plus mal. Supprimons donc, ne fût-ce que dans nos programmes de concert, ces préjugés ridicules, et, tout en gardant le ferme propos de n’admettre parmi les vivans que ce qui a droit à l’existence, épargnons-nous ces mesures d’ostracisme envers nos morts illustres comme envers les maîtres étrangers.

Tout ceci néanmoins ne veut pas dire que l’ouverture du Roi d’Ys soit faite pour soutenir le choc de celle de Zampa. Mais enfin, dans ce monde de la musique, il y a plus d’une province. N’est point Hérold qui veut, et d’ailleurs, cela fût-il possible, M. Lalo le voudrait-il ? Au simple examen des deux styles, il est fort permis d’en douter : d’un côté, lumière, abondance, inventivité, puissance mélodique et dramatique ; de l’autre, tout ce qui s’acquiert par l’étude et s’obtient par l’effort de la volonté, tout ce que la chinoiserie musicale de notre temps peut imaginer de plus ingénieusement. alambiqué, de plus curieux et de plus amusant. Cette ouverture du Roi d’Ys, déjà mainte fois entendue, et qui servait d’introduction à la deuxième séance du Trocadéro, doit avoir pour but de réaliser un idéal romantique entrevu par l’auteur dans sa rêverie, mais auquel, faute d’un commentaire initiateur, le public ne comprend trop rien. Qu’importe après tout qu’il comprenne, si le tableau l’occupe et l’intéresse, qu’importe le sujet pourvu que l’artiste y trouve l’occasion de nous montrer ce qu’il sait faire ? Un épisode de la vie héroïque, des pressentimens sombres, des passions violemment déchaînées, des champs de bataille et de victoire au-dessus desquels la mort plane, voilà ce que raconte cette symphonie avec une grande autorité de savoir et de conscience. C’est énergique, nerveux, touché d’une main sûre. Des longueurs, de l’ennui, vous en trouverez ici et là, jamais de platitudes. Dans la disette des idées, l’orchestration (qu’on me passe cet affreux mot) déploie des richesses infinies. Quelle adresse inventive dans les rythmes, que d’habileté dans l’emploi des registres de chaque instrument, dans la combinaison des sonorités ! tantôt, en plein silence, le violoncelle étend sa période pathétique, tantôt c’est la clarinette modulant dans son registre grave. J’ai remarqué surtout, dans la péroraison, une pédale de trompette de l’effet le plus neuf, le plus saisissant. Ah ! si là-dessous se déroulait le moindre thème, si cette constellation de sonorités fulgurantes avait derrière elle un de ces firmamens tout azur et mélodie comme les maîtres savent en créer ! Mais non, l’auteur s’en tient à son effet technique, et c’est alors que le