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avec les Gobelins, présente en quelque sorte comme thème un vase rempli de raisins dont les teintes tenues dans la gamme sombre atteignent à une rare vigueur. Nous aimons surtout ces panneaux roses ou blancs à motifs pompéiens, et ces sièges et ces dossiers de canapés où s’arrondissent des guirlandes de fleurs sur un fond pose, dont le ton exquis semble dérobé à la palette de Chaplin.

Mais la tapisserie ne souffre pas l’à-peu-près. Aussi avouons sans difficulté l’admiration médiocre que nous inspire la tapisserie d’Aubusson, surtout quand elle veut lutter avec les Gobelins pour la reproduction des tableaux ou des sujets animés. Tous ces panneaux d’après Boucher, Lancret, Natoire, Van Loo, Oudry, manquent de finesse, d’exactitude et d’harmonie. Ces contours sont durs et bavrochés, ces fonds sont veules, ces figures sont gauches, ces physionomies sont bêtes. La tapisserie usuelle devrait renoncer à ces idylles, à ces mythologies, à ces fables de La Fontaine, et s’adonner exclusivement aux sujets décoratifs, comme les rinceaux pompéiens et les bouquets à la Louis XV, se détachait sur des fonds unis de teintes claires. Le principe de l’art industriel est la décoration ; pourquoi toujours s’efforcer d’y manquer ?

Quand la tapisserie n’est pas parfaite, on a raison de lui préférer les riches étoffes de soie des fabriques de Lyon, velours de Gênes à grands, ramages, satins à semis de fleurs, lampas brochés, damas ton sur ton. C’est un régal pour les yeux qu’une promenade à travers les galeries de l’exposition lyonnaise. Il y a là des étoffes qui sont, comme la robe de Peau-d’Ane, tissées avec des rayons de soleil. L’imagination des dessinateurs jette sur les fonds éclatans des satins les plus capricieux motifs. Reliés par un encadrement de treillages roses où s’enroulent les tiges flexibles des plantes grimpantes, des paons la queue en roue et des coqs japonais se détachent sur un fond jaune paille. Ailleurs ce sont des roses qui s’épanouissent sur un lac de lait ou des fleurs des champs qui montent en gerbes dans un ciel turquoise. Les étoffes chinoises et japonaises ne sont ni plus brillantes ni plus magnifiques. Toutefois les soieries de Lyon ne peuvent lutter avec celles de l’extrême Orient quand elles veulent aborder les tons vigoureux et intenses, les rouges ardens, les bleus vibrans, les verts scintillans ; elles tombent tout de suite dans la crudité. Où elles excellent, c’est dans les nuances claires et atténuées, les tons tendres, les verts d’eau, les bleus dégradés, les jaunes paille ou maïs. Il est inutile de dire que ce n’est pas par l’impuissance de la coloration que pèchent les fabricans lyonnais, — ils font des étoffes ton sur ton de la couleur la plus franche et la plus vive, — mais par l’accord des tons. Ainsi il leur est impossible de marier sans dissonance le rouge et le vert et le vert et le bleu,