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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 28.djvu/95

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respectable de 1,500 résidens et l’aspect d’une ville quasi européenne.

Aujourd’hui la vie des immigrans a pris son assiette dans tous ces ports ; une activité régulière a remplacé les fièvres et les secousses des premiers temps ; les dangers du dehors ont disparu et avec eux les grosses aventures, les spéculations hasardeuses, les gains énormes et subits, ainsi que les folies et les fêtés. Beau temps évanoui qui a laissé plus d’un regret aux vétérans ! On courait bien un peu risque, quand on s’aventurait dans la campagne, de rentrer estropié, ou même de ne pas rentrer du tout ; mais quelles aubaines, quels marchés et quelle intensité de vie chez ces spéculateurs placés constamment à deux pas de la ruine ou du massacre ! La concurrence d’une part et la pacification des samurai de l’autre ont calmé tout cela. Le settlement a pris des allures monotones et casanières ; les courses, les régates, le tir suisse, des parties de cricket, viennent à peine rompre de temps en temps cette uniformité. Les affaires le matin, le club anglais ou allemand après déjeuner ; puis la plupart du temps le retour à la colline, où chacun a un bungalow bien aéré, telles sont les phases quotidiennes de l’existence facile et fastidieuse, où les plus robustes laissent peu à peu s’affaisser leur esprit et leur corps. A mesure que la colonisation est devenue plus aisée, le besoin de cohésion a décru, le sentiment de la solidarité s’est refroidi, les liens du corps social se sont relâchés, et l’individualisme a fait comme toujours cortège à la prospérité.

Seule, la presse étrangère fait entendre sa voix au nom de la communauté. Trois journaux anglais : le Japan-Mail, le Japan-Gazette, le Japan-Herald et un journal français, l’Écho du Japon, se publient à Yokohama. Il est difficile d’imaginer la liberté et parfois la vivacité d’expressions avec laquelle ils attaquent les actes du gouvernement, qui ne peut exercer aucune action sur eux, si ce n’est par les voies amiables, et ne peut leur appliquer les lois draconiennes qu’il a promulguées sur la presse. Cette franchise gêne d’autant plus les maîtres du Japon que beaucoup d’indigènes lisent les publications anglaises et y puisent des alimens pour exercer l’esprit critique si développé chez eux. Ce n’est qu’à force de précautions et en s’entourant du plus grand secret que les ministres du mikado réussissent à tromper cette surveillance implacable ; mais ils ont beau faire, une indiscrétion, un indice, avertissent les rédacteurs alertes, et au moindre prétexte, journaux de crier comme les oies du Capitule. Un Anglais a même poussé l’intempérance polémique jusqu’à imprimer à Yédo un journal en langue japonaise, où il se livrait à des censures au moins sévères. Poursuivi, comme n’ayant fait que prêter son nom à un journaliste indigène qui voulait esquiver les lois de presse, il démontra que le journal était réellement à lui et soutint son droit de