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l’insuffisance de celle-ci, n’est-ce pas la meilleure manière de réfuter le corollaire qui en découle ?

Quant aux deux autres principes, celui de l’antithèse et celui de l’action directe du système nerveux, nous ne voyons pas qu’ils contiennent, au point de vue évolutionniste, une véritable explication. Le principe de l’antithèse, nous l’avons dit, n’exprime autre chose qu’une convenance générale entre les dispositions mentales et les mouvemens et attitudes du corps; cette convenance, nous l’admettons comme un fait et nous y reconnaissons même l’une des mille preuves d’un plan providentiel; mais comment l’évolutionnisme en rendra-t-il compte, lui qui rejette toute notion d’une pensée ordonnatrice? — Reste l’action directe du système nerveux; mais ce fluide qui rayonne dans tout l’organisme et suit de préférence les lignes de moindre résistance, qu’est-ce autre chose, sous un autre nom, que la vieille hypothèse cartésienne des esprits animaux? Et si cette dernière est aujourd’hui universellement abandonnée, voit-on par quels titres celle qui la remplace pourrait justifier la prétention de fournir une raison scientifique des phénomènes expressifs ?

Nous croyons donc, en résumé, qu’une explication des mouvemens d’expression, conformément aux principes de l’évolutionnisme, est encore à trouver. Ni l’habitude héréditaire, ni l’action directe du système nerveux, ne semblent suffire. Pour les évolutionnistes, comme pour nous, le problème reste tout entier. Les faits sont constatés, le jeu des muscles et des nerfs est en grande partie connu; mais la connexion entre ces modifications organiques et les diverses émotions de la sensibilité, soit animale, soit humaine, est toujours un mystère.


II.

En même temps que, par le principe d’association des habitudes utiles, M. Darwin semble attribuer l’origine de certains mouvemens expressifs chez les animaux à une intelligence presque humaine, il s’efforce d’établir que des mouvemens et des expressions analogues chez l’homme ne peuvent guère s’expliquer que par une descendance animale. De tous les exemples qu’il invoque, le plus curieux est ce fait que, dans la colère, la haine violente, le défi, la lèvre supérieure se relève souvent de façon à ne laisser apercevoir la canine que d’un seul côté. Le rire sardonique est une reproduction atténuée du même mouvement, qui, pour M. Darwin, est identique à celui du carnassier qui va mordre. C’est donc là une survivance de l’époque où les ancêtres de l’homme, armés de fortes