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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/198

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de même nature, elle pourra aussi bien donner l’idée d’un espace court, car un tel espace est vite parcouru ; par suite, elle exprimera tout objet petit, faible, insignifiant. — C’est encore à l’analogie qu’il faut rapporter ce procédé, si fréquent dans les idiomes sauvages, de la répétition. Il servira à traduire tantôt la continuation de l’action, tantôt l’agent ou l’instrument de cette action, tantôt la grandeur ou la petitesse de l’objet. Ainsi, dans la langue maorie, puka veut dire palpiter, puka-puka les poumons ; muka, lin ; muka-muka, essuyer, frotter ; chez les naturels australiens, bou-rie signifie petit, bou-rie bou-rie, très petit. Une certaine tribu du Brésil appelle un ruisseau ouatou, et la mer ouatou-ou-ou (le ruisseau très grand). De même en latin, murmur, susurrus (sur surrus), etc.

Il faut admettre enfin qu’à l’origine ces différens procédés ont donné naissance dans le même idiome à plusieurs formes diverses pour traduire la même idée ; de là entre les mots cette sorte de lutte pour l’existence si bien décrite par Schleicher. Les formes les plus simples, les plus commodes, les plus intelligibles, ont peu à peu éliminé leurs rivales. Ce travail de sélection s’est fait comme de lui-même, mais non sans le concours inconscient de l’esprit humain ; car après tout, c’est lui seul qui, selon les lois nécessaires de logique qui lui sont inhérentes, choisissait. Ce choix dut être d’autant plus rapide que l’idiome était de formation plus récente ; par suite, des dialectes sortis d’une souche commune ont dû promptement diverger, au point que leur parenté devint presque méconnaissable. C’est ce que confirme ce fait, rapporté par quelques voyageurs, que, dans certaines peuplades, les hommes qui s’éloignent pour une expédition un peu longue ont peine à comprendre au retour le langage des femmes et des enfans.


III.

Cet exposé sommaire de quelques théories nouvelles sur l’origine du langage nous conduit, on le voit, à des conclusions assez différentes de celles de Max Müller et des philologues de son école. S’ensuit-il que nous supprimions la barrière qu’il a cru pouvoir élever entre le langage émotionnel et le langage intellectuel, et que nous refusions de reconnaître dans la formation des mots l’opération de facultés exclusivement propres à l’homme ? — En aucune façon.

Il est d’abord à remarquer que le procédé de l’imitation, tout naturel et spontané qu’en paraisse l’emploi, implique déjà la réflexion et la volonté. La bête en est incapable. On n’a jamais vu l’agneau, le bœuf, le singe même, après avoir échappé à la poursuite d’un lion, exprimer la cause de leur terreur par un rugissement.