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Où résonne comme une fanfare l’expansion joyeuse du trouvère, on n’entend ici que l’accent mélancolique du bouddhiste désolé : « Les guerriers aussi finissent par tomber, ils ressemblent à une lampe exposée au vent. »


III.

A côté du monogatari, il convient de placer les romans modernes, qui sont de plusieurs sortes : les kesaku-bon, qu’anime encore le souille héroïque des anciens monogatari ; les ninjo-bon, où l’amour joue le plus grand rôle, et les kusa-zoshi ou romans populaires, imprimés en caractères vulgaires, que l’on trouve entre les mains de toutes les femmes. Nos lecteurs ont déjà pu juger le premier genre par l’histoire émouvante des quarante-sept ronines racontée ici même par M. Roussin[1] et connaissent le second par l’analyse que nous avons donnée des amours lamentables de Kosan et Kinguro[2]. Ils nous permettront de placer encore sous leurs yeux comme spécimen du premier genre une histoire de vendetta qui les introduira en pleine féodalité japonaise, « la vengeance de Kadzuma. »

On sait quelle importance le samurai attachait à son sabre. La fabrication des lames était un art qui anoblissait celui qui l’exerçait. Au moment critique où la pointe d’acier va s’incorporer à la lame de fer, sous l’action du marteau, c’était une coutume, chez les armuriers célèbres d’autrefois, de se revêtir de l’habit somptueux porté par les nobles de cour, pour mettre la dernière main à leur œuvre. La possession d’une lame signée d’un nom connu faisait l’orgueil de son heureux propriétaire, et se transmettait de père en fils comme un héritage aussi précieux que l’honneur de la maison. Aussi un beau sabre était-il le plus précieux cadeau qu’on pût faire à un ami.

Deux vassaux du même prince se montraient un jour leurs armes. L’un d’eux reconnaît entre les mains de son compagnon un sabre perdu par son père mort sur un champ de bataille ; le nouveau propriétaire, Matazayémon, ne fait aucune difficulté de faire présent à l’ancien, Yukiyé, de cette relique de famille, ce qui lui vaut de la part de ce dernier une gratitude sans bornes, et de longs regrets à sa mort. Cependant Matagoro, fils et héritier du donateur, trouve que cette reconnaissance platonique ne vaut pas un beau présent fait en retour, et ne se gêne pas pour le dire. Indignation du donataire. Celui-ci se rend immédiatement chez Matagoro, et,

  1. Voir la Revue du 1er avril 1873.
  2. Voir la Revue du 15 août 1874.