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crise nouvelle que leur imprévoyance aurait ouverte. Le ministère, lui, tomberait avec ce programme de modération qui a rendu la république possible sous ce gouvernement de M. Thiers dont M. Jules Simon vient de raviver les souvenirs dans un livre écrit avec quelque diplomatie par instans, mais toujours avec talent, avec bonne grâce et avec une séduisante habileté.

Est-ce là, à proprement parler, une histoire du gouvernement de M. Thiers ? C’est plutôt une série d’impressions, de souvenirs et de jugemens sur une époque de l’histoire contemporaine où l’auteur a eu lui-même son rôle d’acteur et de témoin à côté d’un chef aimé et respecté. C’est le récit animé, attachant, de ces premières années qui ont suivi les événemens de 1870-1871, années pleines de péripéties, d’épreuves et d’angoisses patriotiques. Le livre de M. Jules Simon, en remettant sous les yeux cette période émouvante, où la raison d’un homme aide une nation à se relever à travers tous les obstacles, ce livre a le mérite d’être profondément instructif pour tous les partis qui sont encore en lutte, non pas tout à fait dans les mêmes conditions, mais pour les mêmes causes et surtout avec les mêmes passions.

Il est certes instructif pour les conservateurs qui peuvent retrouver dans ces pages l’histoire de leur imprévoyance, de leurs illusions et de leurs impuissans efforts. Que de fois n’ont-ils pas harcelé M. Thiers et pour ce qu’il faisait et pour ce qu’il ne faisait pas ! Ils lui ont disputé par instans jusqu’aux plus simples prérogatives, et celui qu’ils accusaient puérilement de connivence avec le radicalisme était obligé d’arracher à ces conservateurs habiles le droit inhérent à tout gouvernement de nommer quelques maires ou les membres du conseil d’état. Impuissans à faire la monarchie, ils ont refusé d’aider M. Thiers à organiser une république conservatrice, et par une sorte d’expiation, après avoir renversé M. Thiers, ils ont été obligés d’assister au succès de ce qu’ils n’avaient pas pu empêcher, d’un régime dont ils auraient pu être les conseillers écoutés, les modérateurs acceptés. Voilà la moralité de cette histoire pour les conservateurs qui en sont encore à chercher la cause de leurs déceptions ! La moralité de ce passé d’hier ravivé par M. Jules Simon n’est pas moins saisissante pour les républicains, qui peuvent voir une fois de plus dans ce livre à quelles conditions, au prix de quels efforts de prudence et de sagacité la république est arrivée à être un régime régulier. Elle est devenue possible par le gouvernement de M. Thiers ; elle touche maintenant à cette épreuve nouvelle d’élections décisives, et M. Jules Simon a eu certes raison de rappeler à tous ceux qui l’oublient dans les circonstances où nous sommes, le conseil impérieux d’une expérience si récente encore.

Bien des considérations qui tiennent à la situation intérieure de la France font une nécessité permanente de cette politique de modéra-