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cavalerie, de mettre la France à la raison[1]; ces lettres ajoutaient qu’il était sérieusement question de bâcler la paix avec l’Autriche et de prendre l’offensive sur le Rhin. M. de Goltz s’était aussi attaqué à la politique de M. Drouyn de Lhuys, qu’il taxait de brouillonne, car elle ne tendait à rien moins, disait-il, qu’à diviser deux pays faits pour s’entendre ; il avait ouvert à notre politique de larges horizons; en un mot, il avait répété, en renchérissant encore, ce que M. de Bismarck disait le 14 et le 15 juillet à M. Benedetti du désir sincère de la Prusse de s’entendre avec la France et de procéder avec elle, sans souci de l’Europe, à un grand partage territorial, sanctionné par des engagemens solennels; mais ce n’étaient malheureusement que de vaines assurances, tandis que la parole du souverain se trouvait engagée. Toutefois l’empereur, en promettant d’appuyer les annexions, avait eu soin de réserver l’assentiment de son gouvernement. C’était la dernière carte qui restait au ministre pour sauver une partie grandement compromise.

La situation de M. Drouyn de Lhuys, après le succès que venait de remporter une diplomatie peu scrupuleuse, ne laissait pas que d’être pénible. Il fallait un esprit aussi délié que le sien pour concilier les concessions impériales avec les déclarations si catégoriques qu’il avait toujours faites à M. de Goltz lorsqu’il était question entre eux d’un remaniement territorial. Il maintint énergiquement le principe de la corrélation entre les annexions et les compensations, mais il transigea sur le fait accompli des conquêtes.

Le 5 juillet, il voulait s’opposer par les armes à tout agrandissement territorial sur la rive droite du Rhin qui n’aurait pas eu pour conséquence immédiate une concession équivalente sur la rive gauche. Le 20 juillet, il maintenait encore ses prétentions, mais il s’en remettait à une entente à l’amiable avec le cabinet de Berlin pour en assurer les effets. Nous examinerons plus tard si ces espérances étaient fondées.

M. de Goltz ne s’endormit pas sur son succès. Il lui restait à le faire officiellement consacrer. De quels argumens et de quels moyens fit-il usage pour arriver à ses fins? Les lettres trouvées aux Tuileries nous le montrent aux prises, la plume à la main, avec M. Rouher et M. Drouyn de Lhuys, et même en correspondance directe avec le souverain.

Parmi ces lettres, il en est une qui est caractéristique; elle contient

  1. Les propos de M. de Moltke furent du reste répétés à un de nos agens en Allemagne, peu de temps après, par le général de Stülpnagel. C’était un mot d’ordre ; l’armée à ce moment n’était pas encore suffisamment reconstituée pour se retourner du jour au lendemain contre la France. On croyait savoir aussi que M. Giskra, gagné à M. de Bismarck, consacrait tous ses efforts à Vienne pour amener une paix directe entre l’Autriche et la Prusse.