Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus délicats de la machine vivante, et, en étudiant attentivement le mécanisme de la mort dans les divers empoisonnemens, il s’instruit par voie indirecte sur le mécanisme physiologique de la vie. » Et en effet, Claude Bernard usait du poison comme d’un subtil instrument d’analyse, comparable au scalpel ou à l’excitation galvanique. Il isolait par le poison les divers tissus organiques; il tuait les uns en laissant vivre les autres à côté ; et ainsi il constatait plus librement leurs propriétés réelles, voyait celles qui disparaissaient et celles qui subsistaient; de la sorte il pénétrait plus avant dans le tout vivant, il le démêlait, et en tirait des enseignemens inconnus. Telle est la pensée de ses recherches sur le curare ; il en a poursuivi d’analogues et d’aussi originales sur l’oxyde de carbone, sur les poisons musculaires, sur les anesthésiques, sur les alcaloïdes de l’opium. Quelle inépuisable fécondité !

On le voit, Claude Bernard a fait sienne la physiologie moderne tout entière, et M. Vulpian a pu dire avec vérité sur sa tombe que (i depuis près de trente années la plupart des recherches physiologiques qui ont été publiées dans le monde savant n’ont été que des développemens ou des déductions plus ou moins directes de ses travaux. »


IV.

Les travaux expérimentaux dominent dans l’œuvre de Claude Bernard. Ils forment le point de départ de toutes ses croyances, mais sans lui fournir tous les aboutissans de sa pensée; ceux-ci dépassent les régions de l’expérience pure. Après avoir mis au premier rang la partie militante et expérimentale de la vie de Claude Bernard, il faut passer à sa vie réfléchie et philosophique. Celle-ci, par cela seul qu’elle vient de lui, possède une importance particulière. Que pense sur la vie cet homme qui en a tant fouillé les secrets, les actes intimes, les domaines cachés? Que pense sur la méthode expérimentale, et sur ses applications en physiologie, cet homme qui l’a si vigoureusement employée, et avec un succès qui a frappé le monde d’étonnement? Et après ces interrogations peut-on encore demander à ce savant de la vie ce qu’il sait, ce qu’il soupçonne du moins, des grandes questions qui agitent la vieille humanité : qu’est au fond l’homme vivant et pensant, et quelles destinées répondent à sa nature? Sur tous ces points, Claude Bernard est singulièrement intéressant à interroger; il répond toujours avec sincérité, souvent avec compétence, d’autres fois avec une réserve et une modestie qui portent en elles un haut enseignement.

L’œuvre de synthèse biologique dans laquelle nous allons pénétrer