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montrer la généralité de l’action anesthésique : l’anesthésie des phénomènes protoplasmatiques de germination, de développement et de fermentation chez les animaux et les végétaux; l’anesthésie de la germination des graines et l’arrêt de cette germination sous cette influence; l’impossibilité, par contre, d’anesthésier les œufs sans les tuer; l’anesthésie si curieuse des fermens figurés, et parallèlement la non-anesthésie des fermens solubles, ce qui prouve que l’un des ces fermens est vivant et que l’autre est un simple composé chimique ; l’anesthésie de la fonction chlorophyllienne des plantes; l’anesthésie des anguillules du blé niellé, qui, desséchés et puis soumis à l’action simultanée de l’eau et des anesthésians, ne reprennent ni vie ni mouvement, et retrouvent ensuite l’un et l’autre dès que l’agent anesthésique est éloigné. N’est-ce pas là l’anesthésie de la vie latente? Quelle belle suite d’expériences!

S’autorisant de cet ensemble de faits, Claude Bernard arrive à une conclusion déjà entrevue par Bordeu, affirmée par Brown et Broussais, à savoir que l’irritabilité est la forme élémentaire de la sensibilité, la sensibilité une forme très élevée de l’irritabilité. Claude Bernard signale le malentendu qui surgit à cette occasion entre les philosophes et les physiologistes. Pour les premiers, la sensibilité est l’ensemble des réactions psychiques provoquées par les modificateurs externes; pour les seconds, c’est l’ensemble des réactions physiologiques de toute nature provoquées par ces modificateurs. La cellule sent et réagit; la sensibilité de la cellule n’est autre que son irritabilité. La sensibilité de la cellule peut être inconsciente; la sensibilité du système nerveux, considéré dans son ensemble, est consciente. Ainsi s’expliquent ces termes de sensibilité consciente, de sensibilité inconsciente, qui étonnent les philosophes.

En terminant cette étude, Claude Bernard ajoute que par les anesthésiques on n’atteint pas directement l’irritabilité, qui est quelque chose d’immatériel, mais bien le protoplasme, qui est matériel. Qui pourrait soutenir le contraire ? Quand atteint-on une force ou une propriété? L’éther ou le chloroforme atteignent le protoplasme, mais le protoplasme vivant, sentant et réagissant; en frappant le protoplasme, ils exercent sur lui une action physique encore peu connue, mais réelle; toutefois cette action n’est pas la seule produite : ils déterminent aussi une impression vitale concomitante. Tous les troubles de la matière vivante s’accompagnent d’une altération sensible de cette matière. Pensée juste, qu’il ne faut pas traduire systématiquement en faisant de cette altération le fait essentiel et primordial, et de la réaction un fait purement physique et toujours subordonné.

J’ai voulu donner une idée, alors même qu’elle devait rester bien