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L’ÎLE DE CYPRE.

ne se remplit de plus pénétrantes senteurs. Dès la fin de février, ce sont les violettes, ce sont surtout les anémones, si petites et si blafardes, dans nos bois, là-bas, par millions, aussi grandes, aussi splendides, aussi diverses de nuances que celles qui sont cultivées dans nos jardins ; plus tard, c’est toute l’éblouissante tribu des liliacées, chère aux poètes de la Grèce, l’hyacinthe, le narcisse et le crocus, différentes espèces de tulipes. Les buissons n’ont pas une moins élégante parure ; c’est l’agnus-castus, avec ses grappes d’un bleu pâle, c’est le myrte avec ses bouquets blancs et parfumés qu’encadre un charmant feuillage, c’est l’arbousier dont le fruit mûr a tout l’éclat d’une fleur rouge. N’oublions pas la rose, née, disait la légende, tout près de là, sur la côte syrienne, de la terre qu’avait baignée le sang d’Adonis. Aphrodite avait amené dans l’île la fleur qui lui était chère ; les roses de Cypre étaient célèbres chez les anciens. Aujourd’hui encore, tandis que les charmans boutons de l’églantier décorent les broussailles et qu’ils répandent dans la campagne leur fine et légère odeur, les plus belles variétés de la rose cultivée s’épanouissent dans les jardins des riches musulmans grands amateurs d’horticulture. On comprend que les Grecs aient appelé Cypre l’île qui sent bon εὐώδης (euôdês). C’était là, disait Homère, que les Grâces oignaient d’une huile embaumée les membres de leur divine maîtresse, c’est là qu’elles-mêmes trempaient leurs vêtemens dans les vapeurs odorantes qui s’exhalaient de toutes ces corolles ouvertes par le printemps.

Parmi les plantes qui croissent d’elles-mêmes à Cypre, il en est deux qui avaient particulièrement attiré l’attention des anciens naturalistes et qu’y ont retrouvées les botanistes modernes. L’une d’elles paraît avoir donné à l’île le nom qu’elle porte encore aujourd’hui, après une si longue suite de siècles : c’est l’arbuste que les Phéniciens et les Hébreux appelaient kopher, mot d’où les Grecs ont tiré celui de kypros, formé des mêmes élémens. On est d’accord pour y reconnaître, d’après les descriptions que nous en donnent Dioscoride et Pline, la plante qui est appelée par les Arabes el hanna ou, comme disent les voyageurs européens, le henné. C’est le lawsonia alba des botanistes, le ligustrum des Romains, notre troëne. Nos bois en sont pleins ; la blancheur des épis de fleurs dont il se couvre au mois de mai ne déplaît point aux yeux : elle a valu à cet arbuste quelques bonnes paroles des poètes et des romanciers ; mais sa forte odeur de musc lui ferme d’ordinaire l’entrée des jardins, on ose à peine en mettre quelques brins dans un bouquet. Sa principale fonction est de s’épaissir, sous la serpe qui le taille, en haies fournies et serrées qui forment une excellente clôture. En Orient au contraire, dès les temps les plus reculés, le troëne a été très recherché pour ses feuilles et ses fleurs. De