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ont parlé. M. de Vogüé y a retrouvé, près de Golgos et d’Idalie, plusieurs dépôts de figures brisées en morceaux ; elles avaient été enfouies à la hâte dans des fosses communes, ainsi qu’on y enterre les cadavres après les grandes batailles civiles. Sur l’origine et le caractère de ces dépôts, l’hésitation n’était pas permise. C’étaient bien « de véritables nécropoles de statues, où, sous quelques pieds de terre, gisaient pêle-mêle les œuvres de plusieurs siècles, monumens de la piété ou de l’orgueil, de la vanité ou de la reconnaissance, idoles, portraits, symboles, tous mutilés à dessein. Ici vingt têtes dans un seul trou ; là des bras et des torses ; ailleurs des ex-voto de la nature la plus singulière[1]. » De ces débris, l’habile archéologue a encore su tirer pour le Louvre une centaine de têtes, qui forment une série intéressante, où l’on peut établir une chronologie approximative, depuis l’art égypto-asiatique jusqu’au romain.

Grâce à sa situation insulaire, Cypre, du IVe au VIIe siècle, put échapper aux maux que les invasions barbares firent alors peser sur presque toutes les provinces de terre ferme. Sous Justinien, l’île dut même à l’introduction d’une culture nouvelle un développement inattendu de sa richesse. L’usage des étoffes de soie était, depuis le commencement de l’ère chrétienne, devenu très général dans la haute classe, pour les deux sexes, à Rome et plus tard à Constantinople, comme dans toutes les grandes villes de l’Orient ; mais c’était un luxe fort dispendieux. On les tirait de la Chine, par l’intermédiaire des marchands de la Perse ; ceux-ci les faisaient venir par caravanes, à travers l’Asie tout entière ; grevées de frais de transport considérables, elles restaient toujours d’un prix fort élevé. En 557, deux moines, que leurs voyages avaient conduits jusque dans l’Inde, rapportèrent à l’empereur des œufs de ver à soie, qui furent envoyés dans différentes provinces ; nulle part ils ne réussirent aussi bien que dans l’île de Cypre. Bientôt, sur toutes les pentes voisines de la mer et particulièrement sur la côte méridionale, les mûriers se multiplièrent ; partout ils mêlèrent leur brillante verdure et leurs larges feuilles au grêle et pâle feuillage de l’olivier.

L’industrie cypriote était déjà célèbre dans l’antiquité pour ses étoffes de toile et de laine, pour ses tapisseries et ses broderies. Avec de pareils précédens, elle eut bientôt fait d’installer des métiers à tisser et à brocher la soie, métiers dont les produits furent très renommés et très recherchés pendant tout le moyen âge.

La population de Cypre et sa richesse s’accrurent encore au siècle suivant, lorsque les musulmans envahirent la Syrie. Fuyant

  1. Lettre de M. le comte de Vogüé sur ses fouilles de 1862, dans la Revue archéologique, nouvelle série, t. VI, p. 244.