Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/562

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à la plus noble, ont pour condition de manifestation les phénomènes de l’ordre physico-chimique.

Il est une autre loi qui n’est pas moins faite pour provoquer l’étonnement du monde étranger aux expériences de nos savans : c’est l’action des phénomènes vitaux de toute espèce sur les élémens matériels de la vie. Quand chez l’homme et chez l’animal il se fait un mouvement, une partie de la substance du muscle se brûle et se détruit. Quand la sensibilité s’émeut et que la volonté s’exerce, les nerfs s’usent. Quand la pensée travaille, le cerveau se consume. En sorte qu’on peut dire que jamais la même matière ne sert deux fois à la vie. Lorsqu’un acte est accompli, la parcelle de matière vivante qui a servi à le produire n’est plus. Si le phénomène reparaît, c’est une matière nouvelle qui sert d’élément à l’organe qui le reproduit. L’usure moléculaire est toujours proportionnelle à l’intensité des manifestations vitales. « Partout, en un mot, dit Claude Bernard, la destruction physico-chimique est unie à l’activité fonctionnelle, et nous pouvons regarder comme un axiome physiologique la proposition suivante : Toute manifestation d’un phénomène dans l’être vivant est nécessairement liée à une destruction organique. » Ce n’est pas l’organe même qui se détruit ; c’est la matière élémentaire dont se composent ses tissus. La forme, ou plutôt la force vitale subsiste intacte, et continue à s’assimiler la matière nouvelle qui doit remplacer l’autre, dans le phénomène de la nutrition. Quand la poésie antique a comparé la vie à un flambeau, elle a fait une métaphore que la science moderne, grâce à Lavoisier, a convertie en une vérité expérimentale. La flamme vitale use aussi la matière de son flambeau, et si elle continue à briller, c’est que, semblable à la flamme physique, elle reçoit un aliment nouveau par la nutrition. On le voit, l’action est réciproque entre la vie et la matière, dans l’être vivant. C’est la matière qui entretient la vie, et c’est la vie qui use la matière. La correspondance est complète, et la relation est telle qu’on ne peut les séparer que par une pure abstraction de l’esprit. Si Bossuet eût assisté aux expériences de nos physiologistes, il y eût vu la démonstration scientifique de sa pensée : « L’âme et le corps forment un tout naturel. » Tout théologien et spiritualiste qu’il était, il n’eût point résisté à l’évidence de l’axiome expérimental qui domine toute la physiologie actuelle : tous les phénomènes de la vie rentrent, quant à leurs conditions, sous l’empire des lois physico-chimiques, et sont susceptibles, en ce sens, de déterminations précises qui peuvent toujours se constater et se vérifier par l’expérience. Un pareil déterminisme n’a rien d’inquiétant pour les doctrines qui réservent l’action des causes proprement dites, dans l’explication des phénomènes vitaux.