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principe de toute explication scientifique. La matière élémentaire avec ses propriétés mécaniques, physiques et chimiques, telle est l’origine première de toutes choses. Si la chimie ne peut créer toutes les formes de l’être, elle suffit à les expliquer ; pour le monde inorganique, l’opération de la nature est plus simple ; pour le monde organique, elle est plus compliquée : voilà tout le mystère. « Dès que la substance, dit M. Moleschott, a atteint un degré déterminé de composition, on voit se produire, avec la forme organisée, la forme de la vie. » Un autre chimiste, M. Lehmann, nous prédit que, dans un avenir peu éloigné, la physiologie sera réduite aux seuls principes de la chimie et de la physique. C’est M. Haeckel qui a dit le dernier mot de la doctrine. Après avoir substitué à l’unité vitale dont le moi a conscience, l’unité cellulaire à laquelle il prête une vie individuelle véritablement psychique, il ajoute : « La doctrine de l’évolution a-t-elle par là épuisé son analyse ? Nullement, la nouvelle chimie organique nous enseigne que ce sont les propriétés chimiques et physiques du carbone qui, grâce à ses combinaisons complexes avec d’autres, engendrent les propriétés physiologiques spéciales des corps organiques, et avant tout du protoplasma. Les monères (ce sont les organismes les plus rudimentaires), consistant uniquement en protoplasmes, forment ici une sorte de pont par-dessus le gouffre profond qui sépare la nature organique de la nature inorganique. Elles nous montrent comment les organismes les plus simples ont dû provenir, à l’origine, des combinaisons inorganiques du carbone[1]. »

Ainsi la distinction des phénomènes biologiques et des phénomènes physico-chimiques n’est qu’apparente. Toute organisation vitale se résout, en dernière analyse, dans une série de combinaisons et de compositions que la chimie ne peut reproduire dans ses creusets, faute d’avoir dans ses laboratoires les instrumens nécessaires. Il n’y a que le laboratoire de la nature, avec ses instrumens organiques, qui puisse fournir de tels produits. Si la chimie pouvait pénétrer dans le mécanisme infiniment subtil des opérations naturelles, elle ferait voir qu’elles sont toutes réductibles à ses lois. Le plus ou moins de complexité est l’unique raison de la diversité des phénomènes et des êtres de l’univers. L’école mécaniste ne nie aucune des propriétés qui distinguent et caractérisent les règnes ; elle se borne à les expliquer ; en les ramenant aux mêmes principes élémentaires. Forces et mouvemens : tout est là ; tout ce qui semble échapper à leurs lois et leur faire opposition, tout ce qui paraît avoir ses lois propres et suivre des directions contraires n’est qu’illusion.

  1. Voir la Revue Scientifique du 8 décembre 1877.