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ORONTE.
Quelle charge est-ce là ?
M. MICHAUT.
C’est ce que le vulgaire
En langage commun appelle apothicaire.

Fi donc ! s’écrie le jeune Oronte, comment tirer de là une gentilhommerie ? Mais M. Michaut insiste. Après tout, peu importent ses aïeux. Laissons de côté ce bagage embarrassant. Si les racines manquent, il y a le système de la greffe :

… Greffez-moi sur quoique vieille tige.
Cherchez quelque maison dont le nom soit péri ;
Ajoutez une branche à quelque arbre pourri ;
Enfin, pour m’obliger, inventez quelque fable,
Et, ce qui n’est pas vrai, rendez-le vraisemblable
Un homme comme vous doit-il être on défaut ?
ORONTE.
Et comment, s’il vous plaît, vous nommez-vous ?
M. MICHAUT.
Michaut.
ORONTE.
Ce nom-là n’est point noble assurément.
M. MICHAUT.
Qu’importe !
ORONTE.
Michaut ! un gentilhomme avoir nom de la sorte !
Cela ne se peut pas, vous dis-je.
M. MICHAUT.
Pourquoi non ?
Croyez-vous qu’à la cour chacun ait son vrai nom ?
De tant de grands seigneurs dont le mérite brille,
Combien ont abjuré le nom de leur famille !
Si les morts revenaient ou d’en haut ou d’en bas,
Les pères et les fils ne se connaîtraient pas.


Ces derniers vers sont superbes. Au lieu de l’inepte et impudent Michaut, supposez que c’est Boursault qui parle, Boursault l’honnête homme, Boursault le bonhomme, il y a là une vigueur de ton qui dépasse la portée ordinaire de son langage. Saint-Simon, qui a dû entendre cette vive satire, l’aura sans doute accueillie avec un rire amer. Combien de pages de ses Mémoires sont l’application de ces mordantes paroles !

Ainsi, voilà le défilé qui commence. Tous les originaux vont se succéder dans le cabinet d’Oronte. A côté des ambitieux qui demandent des services au Mercure, il y a les mécontens qui se plaignent. Une loi votée sous le dernier empire interdit aux journaux toute mention relative à la vie privée, mais comment empêcher les