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aboutissaient à une terrasse. Derrière cette salle s’en trouvaient d’autres moins vastes, puis une cour intérieure encombrée de pans de murs renversés, de poutres brisées, de toitures effondrées. Située au centre même des constructions qui la masquaient, cette cour, dont l’enceinte était chargée de sculptures et de hiéroglyphes, contenait une statue représentant un nain accroupi. Ses jambes grêles étaient repliées sous lui, l’un de ses bras longs et décharnés se terminait par une main osseuse crispée sur sa poitrine. L’autre se projetait en avant l’index incliné vers le sol. Le torse trapu, le cou énorme, sillonné de veines puissantes, supportaient une tête hideuse. La bouche, largement fendue, avait une expression grotesque et menaçante ; les yeux creux, profondément enfoncés dans leurs orbites, s’abritaient sous une arcade sourcilière proéminente ; le nez court et massif, les lèvres épaisses, le front bas, le crâne aplati et fuyant formaient un ensemble qui justifiait amplement les terreurs superstitieuses des Indiens, à en juger par la répulsion qu’éprouvèrent les jeunes gens en contemplant pour la première fois le nain qui donnait son nom aux ruines qu’ils habitaient.

Plus ils l’observaient pourtant et plus leur curiosité s’éveillait. Il y avait dans cette tête, dans l’attitude du corps quelque chose d’indéfinissable qui les attirait et les éloignait tout à la fois. Les ruines qui jonchaient le sol ne permettaient pas d’examiner la statue d’assez près et sous toutes ses faces, aussi George Willis n’eut-il rien de plus pressé que de mettre ses matelots à l’œuvre pour déblayer le terrain. Sur ses indications et sous sa direction ils y réussirent, et bientôt la statue du Nain, dégagée des débris qui l’entouraient, se dessina en relief vigoureux dans son cadre naturel. Ce travail terminé, ils se rendirent au palais du gouverneur. Carmen parut satisfaite de les voir et leur fit l’accueil le plus cordial. Dona Mercedes elle-même, plus grave et plus réservée que sa sœur, les reçut amicalement et, sur leurs instances, promit d’aller visiter le Palais du Nain qu’elle n’avait vu qu’une fois. Carmen battit des mains à ce projet d’excursion, et toutes deux retinrent leurs visiteurs à dîner. La gaîté de Fernand, le flegme humoristique de George Willis, les manières respectueuses et cordiales des deux visiteurs triomphèrent peu à peu de la froideur d’emprunt de dona Mercedes. Soit souvenir des quelques mots imprudens adressés par Fernand au curé Carillo, soit qu’elle se sentît plus à l’aise auprès de George Willis, c’est avec ce dernier qu’elle causa de préférence, d’abord des ruines d’Uxmal, puis des États-Unis, qu’elle connaissait et où elle était née, ainsi que sa sœur. Toutes deux, dit-elle, avaient vécu à Charleston. Leur père, Américain du sud, officier de marine, avait fait partie du corps d’expédition du général Scott, lors de la campagne du