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couvent, mais Carmen était encore bien jeune ; pouvait-elle disposer irrévocablement de sa destinée ? Un incident qu’elle ne précisa pas lui fit ajourner l’exécution de ce projet. Sa mère et sa tante étaient nées à Mérida, elle se décida à y venir. La curiosité désœuvrée d’une petite ville leur fut bientôt à charge. Elles se retirèrent à Uxmal au milieu de ces ruines solitaires, où elles vivaient en paix, songeant à ceux qui n’étaient plus, laissant couler leur vie. De loin en loin, Mercedes allait à Mérida, évitant ce qui pouvait exciter l’attention ou provoquer les commentaires. C’est ainsi, et pour satisfaire le bon curé Carillo, qu’elle s’était rendue à cette fête où ils l’avaient rencontrée et où son absence eût été remarquée.

George et Fernand l’écoutaient avec un intérêt visible. Bien qu’originaire de New-York, George Willis sympathisait, ainsi que l’avait fait son père, avec la cause du sud. Pendant toute la durée de la guerre de sécession, New-York, divisé en deux camps, comptait presque autant d’adversaires que de partisans du gouvernement fédéral. Le père de George avait été l’un des membres les plus actifs de l’opposition au président Lincoln. Son fils avait hérité de ses convictions ainsi que de sa fortune. Quant à Fernand, sa nationalité seule l’avait empêché de prendre part à la lutte et de se ranger sous le drapeau du sud. Les rapports amicaux de son père avec la haute société de la Nouvelle-Orléans, ses relations personnelles avec les hommes éminens de la Virginie, l’avaient rallié de cœur à la cause confédérée.

Dona Mercedes ignorait ces détails. Elle les apprit avec l’émotion que peuvent seuls comprendre ceux qui, exilés de leur patrie vaincue et abaissée, retrouvent un milieu sympathique et sentent qu’on y partage leurs regrets et leurs espérances. Dans ces deux jeunes gens, inconnus il y avait peu de jours, elle ne voyait plus des étrangers dont elle devait se méfier. Ce récit qu’elle s’était cru, dans sa loyauté, obligée de leur faire et qu’elle craignait de sentir accueilli par une pitié mal déguisée, n’éveillait en eux que des sentimens de respectueux intérêt. Longtemps renfermée en elle-même, sans autre confident que sa sœur dont elle redoutait d’assombrir par sa tristesse la gaîté naturelle, elle eut un éclair de joie en se sentant moins seule et moins isolée. Ce ne fut qu’un éclair, mais il n’échappa pas à Fernand. Son visage reprit promptement son expression habituelle de gravité, comme si le lourd fardeau un instant soulevé retombait de tout son poids sur son cœur et sur sa pensée et scellait à nouveau ses lèvres que venait d’effleurer un sourire charmant.

— Mais laissons ce triste sujet, dit-elle, mes souvenirs m’ont entraînée