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grandira fatalement au fur et à mesure que le nombre des Européens en résidence augmentera.

En raison des dix ans de quiétude dont on a joui, à Nouméa, il est permis de croire que les Canaques ne se fussent par soulevés si nous nous étions contentés, sans idée de l’augmenter jamais, d’une étendue quelconque de leur île. Mais en voyant le flot monter, c’est-à-dire le nombre des colons s’accroître journellement, ils ont appréhendé de se voir entièrement dépossédés. Qui oserait prétendre que leurs craintes ne sont pas fondées ? À bout de patience, ces malheureux sauvages ont alors commencé une lutte qui doit finir par leur extermination ou par l’abandon de notre colonie, chose absolument impossible aujourd’hui.

Le Canaque, qui n’est déjà plus cannibale depuis que nous lui avons inspiré l’horreur de la chair humaine, est-il tellement vil qu’on puisse l’écraser sans pitié ? Son extermination, que nous avons représentée comme inévitable, peut-elle être évitée ? Problèmes graves et que notre désir serait de voir résoudre avec humanité. Parlons sincèrement. Les Néo-Calédoniens, aujourd’hui comme il y a dix ans, combattent pour leurs foyers et leur indépendance. Leur faute et leur crime est de nous avoir fait une guerre de sauvages, d’avoir pratiqué l’assassinat et les lâches surprises, d’avoir égorgé des femmes et des enfans. Moins heureux que certains conquérans modernes qui n’ont point usé d’autres moyens pour atteindre au triomphe, les Canaques paieront de milliers d’existences chaque vie européenne qu’une de leurs haches en serpentine aura supprimée. La loi biblique était moins exigeante : œil pour œil, dent pour dent. Ces hommes, que l’on nous représente comme au-dessous de la brute, se sont montrés pourtant, nous l’avons dit, sensibles aux prières d’une femme de leur race. Elle leur demanda la vie, non pour elle, mais pour ses enfans ; ils firent grâce à la mère et à ses petits. Il a suffi qu’un jeune Européen parlât la langue des Canaques pour qu’un indigène étendît sur lui sa protection ainsi que sur une famille composée de quatre personnes avec laquelle se trouvait le jeune Européen. Il y a parmi eux des caractères vraiment nobles, et le chef actuel des révoltés, Ataï, est une de ces natures d’élite. L’or ou le fer n’ont pu séduire ni dompter ce fier sauvage. Depuis que des Français vivent sous son ciel, fécondent les terres de sa patrie et en exploitent les mines, il n’a jamais voulu rien changer à ses habitudes, à ses exigences, et c’est toujours en protestant qu’il s’est incliné devant nous.

Un jour, le gouverneur, M. de Pritzbuer, était à Ourail ; il fit venir devant lui Ataï, dont il avait beaucoup à se plaindre au point de vue de la soumission. Le chef se présente avec son arrogance et son attitude ordinaires ; il avait pour tout vêtement une casquette…