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s’empêcher de sourire lorsque, racontant son pèlerinage au château de Schönhausen, il s’écriait tout à coup : « Ici Mme l’inspectrice Bellin nous offrit des fraises, et ce fut pour nous une impression presque historique, ein fast historischer Eindruck, de manger des fraises cueillies dans le jardin de Bismarck ! » Mais Hesekiel avait amplement racheté les petites faiblesses qu’on pouvait lui reprocher en publiant le premier une collection de lettres précieuses, pleines d’esprit, d’humour et souvent de grâce, qui assignaient à celui qui les avait écrites un rang d’honneur parmi les épistoliers célèbres de tous les temps et de tous les pays. Chaque homme a son tempérament ; le docteur Busch est beaucoup moins lyrique que George Hesekiel. Sans doute il a témoigné quelque part avec une certaine vivacité sa gratitude pour les dispensations providentielles qui lui ont permis d’approcher d’un grand homme et de vivre pendant plusieurs mois de suite dans son intimité. Il a exprimé avec chaleur la satisfaction qu’il ressentit lorsqu’un soir M. de Bismarck lui fit l’honneur de lui demander un cigare, et son chagrin d’être prévenu par le conseiller de cour Taglioni, chiffreur du roi : « Le mien, eût été meilleur ! » s’écrie-t-il avec amertume. Un autre soir, à Clermont, il ne put maîtriser son indignation en voyant le méchant lit où le chef, comme il l’appelle, avait dû coucher : « L’homme qui depuis plusieurs années faisait aller le monde, nous dit-il, avait à peine un endroit où reposer sa tête, tandis que de stupides courtisans se reposaient sous un beau ciel de lit de la fatigue qu’ils avaient éprouvée à ne rien faire. » Il est fort touché aussi de l’intérêt que le chef prenait à sa santé, plus touché encore d’être appelé par lui avec une tendre familiarité le petit Busch, Büschlein. Cependant M. Busch est de son naturel plus curieux qu’enthousiaste ; son plus grand plaisir est d’écouter et de répéter. Il appartient à la catégorie des anecdotiers, des historiens bavards et un peu commères, et on pourrait aussi le classer parmi ces gens que Vauban n’aimait pas et « qui regardent tout par le trou d’une serrure. » Plutarque aimait les détails, mais il savait les choisir ; Plutarque était friand des petites choses, mais il les faisait servir à rehausser les grandes. Le docteur Busch, qui n’est pas un Plutarque, aime les détails sans les choisir, et il lui arrive souvent de confondre les petites choses avec les grandes. Si profond que soit son mépris pour la France et les Français, il aurait dû apprendre de Boileau que le secret de l’art d’écrire est de ne pas tout dire. M. Busch dit tout ; tant pis pour son héros ! qu’il s’en tire comme il pourra.

Le docteur Busch est un Saxon qui parle dédaigneusement de Dresde, cette charmante ville où il est né. Si on l’avait consulté, il eût prié le ciel de le faire naître à Berlin ; il paraît éprouver une secrète humiliation de n’être qu’un Prussien de deuxième classe. Il médit de ses compatriotes, il nous apprend qu’il y a entre lui et tous les autres Saxons cette différence que non-seulement il aime le vin de Champagne, mais