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« qu’il est sincère et qu’il sait quelquefois n’être pas poli. » Pour consoler le docteur Busch d’être né à Dresde, M. de Bismarck le fit entrer aux affaires étrangères, l’attacha aux bureaux de la Wilhelmsstrasse ; pour comble de bonheur, dès le lendemain de la bataille de Wörth, il l’invita à venir le rejoindre en France, au grand quartier général, et il le chargea d’une partie du service de la presse. Ce fut ainsi que M. Busch fit toute la campagne de 1870 et 1871 comme « soldat de la plume. » Il eut à rédiger beaucoup de télégrammes, beaucoup de dépêches, d’innombrables articles de journaux, et pourtant il sut se procurer assez de loisir pour rédiger aussi son journal particulier, qu’il vient de publier en deux volumes, et dans lequel il consignait ses observations, ses réflexions, les faits et gestes de son chef et surtout ses propos de table. Il ne s’en cachait pas ; un soir, le conseiller Abeken lui fit le compliment que ce journal serait tôt ou tard un précieux document historique, sur quoi M. de Bismarck s’écria en souriant : « Eh ! oui, on dira un jour : conferas Buschii cap. III, p. 20. »

Toutefois, quelque estime que M. de Bismarck pût avoir pour le talent et le caractère de M. Busch, il n’admirait pas sans réserve son style, sa manière de tourner les choses. « Pourquoi donc êtes-vous si massif dans tout ce que vous écrivez ? » lui demanda-t-il à propos d’une diatribe de sa façon contre les ultramontains, qui lui paraissait un peu lourde. Le docteur se permit de lui répondre qu’il pouvait aussi travailler dans le genre aimable, et « qu’il croyait s’entendre en fine malice, er könne auch artig sein und glaubtesich auf die feine Malice zu verstehen. — Eh bien ! soyez fin, mais sans malice, reprit M. de Bismarck, écrivez en diplomate ; même dans les déclarations de guerre, on se croit tenu d’être poli. » Le surlendemain il revint à la charge : « Vous n’êtes pas encore assez poli, lui dit-il. Vous m’avez certifié que vous étiez maître en fine malice ; mais il y a dans votre nouvel article plus de malice que de finesse. » Quand on a de l’application et le désir de bien faire, on progresse rapidement, et le docteur Busch était à bonne école pour apprendre à assouplir sa plume. Il nous donne dans son livre plusieurs échantillons de son savoir-faire en matière de plaisanterie délicate et raffinée. Ayant observé, par exemple, que pendant le siège de Paris, les dames de Versailles d’une certaine classe ne se montraient dans les rues que vêtues de deuil, il nous fait part de cette remarque et il ajoute : « C’était sans doute à cause de la patrie et aussi parce que le noir leur allait bien. » Il nous révèle encore qu’en voyant M. Thiers pour la première fois, il lui trouva l’air d’un marchand ou d’un professeur. Pourquoi M. Thiers ne s’était-il pas avisé de se coiffer d’un casque ? Il eût peut-être obtenu grâce devant la fine malice du docteur Busch.

Si M. Busch est né malin, il ne faut pas croire qu’il soit méchant. Le 8 septembre 1870, comme on causait à Reims du sinistre drame de Bazeilles, M. le conseiller Abeken exprima le désir que dorénavant la guerre