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hôte sympathique. Il y faut faire attention : tel mot qui, dans la bouche de ceux qui distribuent les louanges, est seulement un encouragement à bien faire, devient pour d’autres une raison de se refuser à tout changement.


Nous n’ajouterons plus qu’un mot pour finir. On peut compter les époques de notre histoire où la France ait eu à la fois le pouvoir et la volonté de s’occuper de son instruction publique : 1789, 1830, 1848, 1872 ont été jusqu’à présent ces rares et fugitifs momens. Chaque fois la fatalité ou les rivalités des partis ont déjoué les espérances, rendu stériles les efforts. Ce qu’on demande aujourd’hui n’est pas autre chose que ce que demandaient, il y a quarante ans, les Renouard, les Rémusat, les Delessert, les Cousin, les Guizot. Si nous paraissons plus hardis, ce n’est pas que les exigences aient augmenté, mais c’est que les adversaires sont devenus moins traitables. Ils revendiquent aujourd’hui comme leur ce qu’autrefois ils déclaraient bien haut qu’ils laissaient en dehors de leur ambition, et ils se plaignent d’être dépouillés ou opprimés quand l’état fait valoir des droits qu’il avait, jusque-là, exercés sans contestation sous tous les régimes. Nous sommes déjà loin du temps où M. Charles Lenormant écrivait dans le Correspondant que l’instruction supérieure, à la différence de l’instruction secondaire, devait appartenir exclusivement à l’état. On a vu récemment, par les prétentions de l’université libre d’Angers, jusqu’où pouvait conduire cet esprit de constant empiétement. Les congrégations ont obtenu des républiques de 1848 et de 1870 ce qu’elles n’avaient pu arracher ni à la faiblesse de Marie de Médicis, ni à la vieillesse de Louis XIV, ni à la condescendance de Louis XVIII. Il est temps que l’état reprenne conscience de ses droits et qu’il ressaisisse avec fermeté ce qu’il n’aurait jamais dû laisser échapper de ses mains. Mais le plus sûr moyen de faire reconnaître et désirer son autorité c’est encore d’effectuer toutes les créations utiles que la France attend vainement depuis trois quarts de siècle : on ne convertit pas ses adversaires, mais le pays, pris en masse, est juste, il sait ce qu’on fait pour lui, et de tous les services rendus, celui qui frappe le plus les esprits, celui qu’on oublie le moins, c’est la main tendue à l’enfance et à la jeunesse.


MICHEL BREAL.