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il disait que le Pont était rempli d’athées et de chrétiens qui osaient blasphémer indignement confire lui, il laissait croire qu’ils étaient les auteurs des mauvais bruits qu’on répandait et ordonnait de les chasser à coups de pierres. Il avait institué des mystères qu’on célébrait en grande pompe et qui attiraient toute l’Asie. Le premier jour, on les proclamait en disant : « Que tout athée, chrétien ou épicurien, venant espionner nos mystères, soit banni de ces lieux ! » Il est probable que ce mélange d’une secte philosophique avec une religion avait pour dessein de les déconsidérer l’une par l’autre. Ceux qui n’étaient pas assez lettrés pour connaître la philosophie d’Épicure apprenaient à la détester en la voyant unie à la secte des chrétiens dont ils avaient horreur. Ce qui ressort de ce passage, c’est que les chrétiens se moquaient d’Alexandre et de ses oracles ; Lucien ne devait pas leur en savoir un mauvais gré, et il veut sans doute leur faire quelque honneur en les mettant à côté d’Épicure, c’est-à-dire « du philosophe dont l’œil perçant pénétrait la nature et qui seul a connu la vérité. » Cette première mention qu’il fait d’eux ne leur est donc pas défavorable, mais ce n’est qu’un mot dont il ne faut pas se hâter de tirer trop de conséquences.

Il en parle plus longuement dans le Pérégrinus. Ce dialogue est écrit peu de temps après la mort d’un philosophe cynique qui en l’an 164 donna ce spectacle à la Grèce de se jeter, pendant une fête publique, dans un bûcher en flammes « pour apprendre aux hommes à mourir. » Cette folie, qui transportait d’admiration tant de fanatiques, n’était pas du goût de Lucien. Il n’y voyait qu’une forfanterie absurde, une sorte de délire d’orgueil, dont un homme était victime, sans profit pour l’humanité. À ce propos, il nous raconte la vie entière de Pérégrinus, et le représente comme un vaniteux qui a essayé tous las moyens et fait tous les métiers pour attirer sur lui l’attention des sots. Un moment même, nous dit ironiquement le satirique, « il s’était fait instruire dans l’admirable religion des chrétiens, » et comme il était intelligent et habile, il devint bientôt l’oracle de la secte. Jeté en prison pour ses croyances, il se voit aussitôt entouré d’hommages et de respect par tous ceux qui partagent sa foi. « On ne saurait croire, dit Lucien, leur empressement en ces occasions. » Ils corrompent les geôliers pour le visiter dans son cachot, ils lui apportent de l’argent et lui font faire grande chère. Les villes de l’Asie lui envoient des députés pour lui servir d’appuis, d’avocats et de consolateurs. Mais le gouverneur de la province, qui est un philosophe et en même temps un homme d’esprit, ne veut pas lui donner la satisfaction d’être martyr et le met dehors. Rendu à la liberté, Pérégrinus ne tarde pas à se brouiller avec les chrétiens et se fait cynique. Il se met alors à courir le