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et contre son gré, se trouvait quelquefois préparer des disciples pour le Christ.


IV

Tous les ouvrages que nous venons d’étudier appartiennent aux dernières années du règne de Marc-Aurèle. Jamais la polémique religieuse ne fut plus vive qu’à ce moment. C’était la première fois que le christianisme obtenait l’honneur d’être publiquement discuté ; ses défenseurs et ses adversaires luttaient d’ardeur et de talent, et il est remarquable que du premier coup se trouvent produits des deux côtés les principaux argumens dont on a fait usage jusqu’à nos jours. La lutte, si vigoureusement entamée sous Marc-Aurèle, continue après lui, et l’on en retrouve la trace dans un ouvrage important de l’époque suivante, la Vie d’Apollonius de Tyanes.

Ce livre fut écrit par un savant grec, Philostrate, à la demande de l’impératrice Julia Domna, femme de Septime Sévère. C’était une personne d’esprit, qui semblait devoir prendre un grand ascendant sur l’empereur. Dion rapporte que Plautien, le principal ministre de Sévère, qui craignait son influence, fut assez habile pour l’empêcher de jouer un rôle politique, et la déporta dans la littérature. Ce n’était pas un exil pour elle ; elle aimait beaucoup les lettres et les lettrés, et se consola dans la société des rhéteurs et des philosophes d’être éloignée des affaires de l’état. Philostrate faisait partie de ce cercle dont elle aimait à s’entourer. Écrivain ingénieux, sophiste disert, il devait y tenir une grande place, et l’on comprend que l’impératrice, qui voulait qu’on écrivît dans un style élégant la vie d’Apollonius, se soit adressée à lui.

Mais que lui demandait-elle véritablement de faire ? Ici les incertitudes commencent. Voulait-elle qu’il se chargeât uniquement de recueillir et de mettre en ordre les renseignemens qui pouvaient rester sur le philosophe de Tyanes, et d’en composer une histoire authentique ? Si c’était son intention, il faut avouer qu’elle n’a pas été servie à son gré. Il ne viendra à la pensée de personne, après avoir lu le livre de Philostrate, de croire qu’il se soit astreint à ne dire que la vérité. Sans doute cet Apollonius, dont il raconte les actions, n’était pas un personnage imaginaire ; il avait réellement existé et fait quelque bruit pendant le premier siècle de l’empire. Les opinions sur son compte étaient assez diverses ; les uns l’appelaient un sage, les autres le traitaient de magicien. Tandis que les crédules, les naïfs, étaient fort tentés de l’admirer, les sceptiques, comme Lucien, se moquaient de lui sans scrupule. Après sa mort,