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sa renommée, comme il arrive, avait grandi, et il s’était formé autour de son souvenir une légende populaire ; mais il est probable que les fables qu’on racontait de lui n’ont pas suffi à Philostrate, et qu’il ne s’est pas interdit d’en imaginer de nouvelles. Il prétend, au début de son livre, qu’il s’est beaucoup servi des mémoires composés par un sage de Ninive, nommé Damis, disciple favori d’Apollonius, qui l’avait suivi dans tous ses voyages. La relation qu’il en avait composée était jusque-là restée inédite ; Philostrate affirme qu’il s’est contenté de la mettre en beau langage. On reconnaît l’artifice qu’emploient ordinairement ceux qui veulent inventer des fables et les donner pour des vérités. Ce Ninivite commode sert à autoriser toutes les histoires qu’il plaît à Philostrate d’imaginer. Il en a sans doute reproduit quelques-unes qu’on racontait avant lui, pour ne pas trop surprendre ses lecteurs qui s’attendaient à les retrouver dans son ouvrage ; mais ce qui prouve qu’il y a beaucoup ajouté de son fonds, ce sont ces mots par lesquels il termine son introduction : « On trouvera ici, je puis le dire, des choses tout à fait nouvelles. »

La Vie d’Apollonius de Tyanes est donc un roman, mais ce n’est pas tout à fait un roman ordinaire. Il a des visées plus hautes que ces récits d’aventure qui sont destinés à l’amusement des désœuvrés. Philostrate nous dit, au début de son livre, « qu’il espère que cet ouvrage apportera quelque honneur à l’homme dont il consacre la mémoire, et sera de quelque utilité aux gens qui aiment à s’instruire. » C’était quelque chose de plus encore, et, sous l’apparence d’une fiction morale, ce roman touche aux questions philosophiques et religieuses qui agitaient ce temps.

Pour en venir tout d’abord à ce qu’il y a de plus important, disons qu’il est impossible de le lire sans être frappé des rapports qu’on y trouve avec les livres sacrés des chrétiens. Philostrate, en le composant, avait sous les yeux les Évangiles, et les actions qu’il prête à son héros ressemblent étrangement à celles du Christ et des apôtres. Est-ce à dire qu’il ait voulu faire une parodie, comme celle qu’on croit voir dans le Pérégrinus de Lucien, et montrer le ridicule des faits merveilleux qu’on raconte du Christ en les prêtant à un autre ? Rien n’est plus loin de sa pensée ; Philostrate parle le plus sérieusement du monde, et il n’a aucune envie de faire rire le lecteur. Est-il beaucoup plus vraisemblable qu’il ait prétendu établir un parallèle formel entre Apollonius et le Christ, et combattre la nouvelle religion en montrant qu’en somme le philosophe païen a prêché une morale plus belle, accompli des actions plus glorieuses que celui que les chrétiens appellent le fils de Dieu ? On l’a cru de très bonne heure, presque au lendemain du jour où le livre fut