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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/178

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instrumentistes les plus distingués de l’Allemagne. Sur la scène, des chanteurs consommés s’étaient pendant longtemps consacrés à la tâche ingrate d’apprendre et à l’obligation difficile de retenir les parties confiées à leurs soins[1]. Rien d’ailleurs n’avait été épargné ; les décors étaient des peintres les plus habiles, les machines du meilleur faiseur, et plusieurs des monstres qui devaient jouer leur rôle dans les représentations avaient été commandés en Angleterre.

Qu’on fasse le compte de tous ces efforts, de tous ces dévoûmens, de toutes ces dépenses. Tout cela avait été réclamé au profit d’une idée ou plutôt au profit d’un homme et par cet homme lui-même. Wagner était bien le héros de la fête. C’est pour lui qu’on s’était dérangé, qu’on avait-travaillé, qu’on avait payé surtout, et les choses étaient disposées de telle sorte que l’honneur devait être pour lui seul. Il avait présidé lui-même à la construction de ce théâtre dont il avait choisi l’emplacement. Il était à la fois le poète et le compositeur ; il avait dirigé les répétitions et réglé la mise en scène. Avec son infatigable activité, avec sa volonté opiniâtre et son très réel talent d’organisateur, il avait suffi à tout ; il ne devait partager avec personne la gloire du triomphe. Jamais, que nous sachions, une telle situation n’avait été faite à aucun compositeur.

Le moment était venu de montrer que tant de preuves de confiance et de sympathie n’avaient pas été sollicitées et obtenues en vain. Malgré tout, le public ; en somme, était bien disposé. La plupart se trouvaient engagés par leurs sacrifices mêmes ; ils ne voulaient pas avoir été dupes d’un entraînement irréfléchi, être venus jusque-là pour renoncer à saluer l’avènement de l’art nouveau promis par le réformateur et auquel ils avaient largement prodigué les moyens d’expansion qui leur avaient été demandés. Mais aussi, dans ces conditions, force était de réussir sous peine de voir tourner contre soi toutes les déceptions et de porter seul le poids des responsabilités assumées.

Ce que furent ces représentations, nous n’avons pas à le rappeler. Prétendre avec des sujets exclusivement fantastiques soutenir pendant quatre jours l’attention et l’intérêt, c’était assurément une difficile gageure. Les légendes compliquées, incohérentes, qui allaient être offertes comme une expression accomplie du drame moderne, sont aussi loin des beautés de la mythologie ancienne que des aspirations de la vie de notre temps. Elles, comportaient cependant une part de sauvage et mystérieuse grandeur. Mais le merveilleux, malgré les libertés qu’il autorise, est un genre forcément restreint. Pour être supportable, il exige une délicatesse de

  1. Cette difficulté est telle qu’il a fallu renoncer à jouer un des opéras de Wagner : Tristan et Iseult. Quand les chanteurs étaient à grand peine parvenus à en apprendre un acte, ils l’oubliaient en passant à l’étude de l’acte suivant.