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accumulent. Vers le mois de mai, quand les gelées printanières sont imminentes, les jardiniers et les vignerons de la Champagne se tiennent en repos si les plantes sont sèches ; mais, si elles ont été mouillées pendant le jour par quelque giboulée, ils tiennent le danger de nuit pour certain et se hâtent de le combattre par des abris. Dans le premier cas il n’y a que le rayonnement, dans le second il se complique de l’évaporation.

La classique histoire de la fabrication de la glace au Bengale confirme ces principes. De larges vases poreux et plats remplis d’eau sont disposés le soir sur de la paille non tassée ou sur des cannes à sucre sèches. Quand la nuit a été sereine et qu’il n’y a pas eu de rosée, l’eau se trouve gelée au lever du soleil, pendant que la paille voisine reste à 4 ou 5 degrés au-dessus de zéro. Ici tout se trouve réuni pour accentuer le froid, d’abord l’évaporation qui se fait soit à la surface de l’eau, soit à celle des vases, ensuite le rayonnement est d’autant plus intense que l’air est moins humide. La première cause à la vérité cesse aussitôt que le point de rosée est atteint ; mais cela arrive tard, et comme elle n’agit point sur la paille environnante qui est sèche, celle-ci n’atteint pas une aussi basse température.

Si tout continuait de la sorte pendant la nuit entière, si le rayonnement n’avait aucun contre-poids et que l’évaporation persistât sur les corps mouillés, rien ne limiterait le froid de la terre, et c’est alors que le soleil à son lever éclairerait, comme le dit Tyndall, une scène désolée par la congélation. Il n’en est point ainsi : l’évaporation diminue et cesse au point de saturation ; la rosée apparaît alors sur tous les objets ; en s’y déposant, elle abandonne toute sa chaleur latente, toute cette provision qui s’était accumulée pendant le jour. Ainsi, quand d’une part le rayonnement disperse la chaleur et refroidit les plantes, de l’autre côté la rosée intervient pour limiter la dépense, pour restituer la chaleur que la vapeur tenait en réserve, et sinon pour enrayer totalement, au moins pour ralentir le refroidissement.

L’art aussi, un art instinctif, vient en aide à la nature. Pour conjurer la gelée, les jardiniers font des couches ; il y en a peu qui sauraient en expliquer les effets. Ce sont des lits de fumier qui se consument lentement comme de vrais foyers, sur lesquels on étend du terreau et qu’on recouvre de cloches ou de châssis. Ces verres seraient de pauvres obstacles au froid, étant minces et transparens. Ils pourraient retarder, ils n’empêcheraient pas la gelée des plantes. Mais l’air très humide qu’ils emprisonnent vient déposer sa buée et abandonner sa chaleur latente sur leur face inférieure. La buée s’écoule, les mouvemens du gaz ramènent de l’air humide au contact du verre, l’action devient continue, le