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signifie « le protégé de Melcarth, » Hasdrubal « celui dont le secours est en Baal, » Hannibal, correspondant du nom biblique Hananéel, veut dire « la grâce de Baal, » etc. On peut voir qu’à Carthage, comme en Israël, les noms propres exprimant un rapport déterminé avec la Divinité étaient très fréquens.

La religion des Carthaginois était aussi foncièrement cananéenne. Les dieux de Tyr furent ceux de Carthage. Toutefois il faut signaler ici un phénomène qui a souvent échappé à ceux qui ont parlé de la religion punique. La religion cananéenne est toujours solaire et lunaire, mais elle revêt deux formes très distinctes : le soleil est adoré, tantôt joyeusement comme la grande force bienfaisante et vivifiante, tantôt comme un être dévorant, terrible, dont la colère est meurtrière. Il semble qu’en Phénicie même, cette seconde conception fut la plus ancienne. Moloch ou Melech, le roi, est le soleil tout aussi bien que Baal le seigneur ; mais en Canaan le culte de Baal est licencieux, pousse au dévergondage, tandis que celui de Moloch est sombre, exige non-seulement des victimes humaines, mais encore des victimes de qualité supérieure. C’est l’intensité du sacrifice consenti par le sacrifiant qui en fait la valeur expiatoire ou propitiatoire. De là cet abominable rite de l’immolation des petits enfans, surtout des premiers nés, et, dans la cité, des enfans des premières familles. L’affreux Moloch carthaginois en bronze, dont les mains étendues recevaient les innocentes victimes pour les laisser glisser dans une fournaise ardente, n’est que trop historique. C’est surtout dans les grandes calamités nationales qu’on revenait avec frénésie à cette coutume facilement négligée en temps de prospérité. À Carthage, Moloch et Baal ne sont pas distincts comme en Canaan ; c’est le même dieu terrible et repoussant. Le même instinct de destruction inspirait à ses plus ardens adorateurs des actes de mutilation sauvage. Sa compagne, Astarté la cornue ou la lune, diffère de la même sorte de sa congénère Aschera, la voluptueuse. M. Bosworth Smith pense que le culte d’Astarté ou de Tanith à Carthage ne fut pas moins impur que celui d’Aschera ou de la Babylonienne Mylitta. Ce point est pourtant fort contesté. De l’avis de plusieurs mythologues, c’est sous la domination romaine que les impudicités des cultes orientaux s’implantèrent aussi dans la nouvelle Carthage et que le rituel d’Astarté devint immoral ; l’ancienne avait pu connaître des vierges d’Astarté, c’est-à-dire des jeunes filles vouées au célibat pour la servir, mais non des espèces de bayadères faisant métier de la prostitution sacrée.

C’est encore le soleil compris comme pouvoir purifiant et guérisseur qu’on adorait sur la Byrsa sous le vocable d’Esmoun. Nous le reconnaîtrons encore dans le Melcarth, c’est-à-dire Moloch kirjath,