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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/551

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brillant ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. La guerre maritime avec l’Angleterre éclatait en ce moment sans déclaration, par la prise de nos vaisseaux, et la France n’était rien moins que préparée aux événemens. Les parlemens bataillaient plus que jamais contre le clergé ou disputaient sur les édits de subsides. Mille intrigues paralysaient l’administration amollie et confuse. « Le débordement du luxe le plus scandaleux, dit Bernis, la misère du peuple, nulle vraie lumière au conseil, aucun courage de citoyen à la cour, nuls généraux de terre ou de mer à la veille de la guerre : tels furent les objets sinistres qui se présentèrent à moi à mon retour de Venise ! » Mme de Pompadour, de son côté, semblait par instans menacée dans sa faveur, et c’était une question de savoir si elle ne disparaîtrait pas devant quelque maîtresse nouvelle ou si elle resterait pour le roi une liaison d’habitude. Bernis aurait volontiers repris le chemin de Venise lorsque tout à coup il recevait sa nomination à l’ambassade de Madrid, avec l’ordre de partir, puis l’ordre de ne plus partir, — et lorsqu’il se trouvait emporté à l’improviste dans un tourbillon d’événemens qui s’inauguraient par un bouleversement complet de la politique française.

C’est la guerre de sept ans qui se prépare ou qui commence. La guerre de mer engagée par l’Angleterre sous le prétexte d’une délimitation incertaine du Canada, en réalité pour la vieille question d’influence, conduit fatalement à la guerre continentale, et c’est le système des alliances, de l’équilibre de l’Europe, qui est tout entier remis en doute. La France restera-t-elle l’alliée du roi de Prusse, qui a encore avec elle un traité sur le point d’expirer et qui, sans scrupule comme sans illusion, épie les événemens pour prendre parti dans l’intérêt de son ambition ? Le cabinet de Versailles, depuis quelques années tenté secrètement par M. de Kaunitz, par l’impératrice-reine de Hongrie qui brûle de se venger de la perte de la Silésie, le cabinet de Versailles écoutera-t-il ces propositions au risque de bouleverser toute une politique, la politique de Richelieu et même du commencement du règne ? Voilà le problème dont la solution peut changer la face de l’Europe. Marie-Thérèse, qui n’a jamais écrit à la favorite française la lettre qu’on lui a souvent attribuée, mais qui ne ménage pas les flatteries indirectes, devient plus pressante dans l’automne de 1755, au début de la guerre maritime. A vrai dire, Louis XV, qui n’aime pas Frédéric II, qui a le ressentiment des railleries du roi de Prusse et qui a aussi ses ombrages à l’égard d’une puissance nouvelle et protestante, Louis XV a un goût décidé pour l’alliance catholique avec la reine de Hongrie. Mme de Pompadour, qui se sent menacée, voit dans cette combinaison un moyen de plaire au roi, de trouver un appui