Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
591
L’ÎLE DE CYPRE.

qu’ils supportaient autrefois. Selon toute vraisemblance, si les fouilles, commencées et poussées très loin en son absence, avaient été faites sous ses yeux, on aurait pu noter quelques traces d’un édifice dont le toit devait abriter les statues. C’est ce que permet de supposer une autre découverte plus importante encore.

Dans le même canton, au pied d’un tertre que M. de Vogüé avait sondé sans grand profit, on mit au jour une muraille qui dessinait un parallélogramme long de 18 mètres environ sur 9 de large. Dans L’intérieur de cette enceinte, on compta jusqu’à soixante-douze piédestaux, les uns adossés à la muraille, les autres, au nombre de quinze, formant trois files régulières qui divisaient ce vaisseau en quatre nefs. Devant ces bases étaient couchées, pour la plupart sur le ventre, la face contre le sol, des statues que recouvraient de 2 à 8 mètres de terre. Cette terre n’était point meuble : dure et sèche, elle résistait à la pioche. Elle semblait faite de briques mêlées à du mortier et tassées par la pression ; pour l’entamer, il fallait la mouiller à grande eau. Selon toute apparence, elle provenait des murailles qui s’étaient abattues à l’intérieur ; dans leur chute, elles avaient renversé les statues, elles les avaient ensevelies sous leurs débris. Au milieu de la vaste salle, un épais amas de cendres, parmi lesquelles on distinguait encore quelques grandes pièces de bois carbonisé, représentait la toiture, qui s’était effondrée dans les flammes. L’incendie avait achevé l’œuvre du tremblement de terre[1].

Il est difficile de ne pas reconnaître là un temple ; on incline à y voir un sanctuaire d’Aphrodite. En l’absence de tout document écrit, c’est encore l’hypothèse la plus probable ; elle semble confirmée par certains objets trouvés dans ces décombres, ainsi que par les attributs de plusieurs des statues, et d’autre part Aphrodite était bien la grande déesse de Golgos, comme celle d’Idalie et de Paphos. Quoi qu’il en soit, cent dix ouvriers, travaillant sur ce chantier pendant six semaines environ, en tirèrent près de trois cents statues ou statuettes, toutes enveloppées d’une sorte de croûte, d’une gangue épaisse et solide qu’il fallait attendrir en l’humectant et détacher ensuite à la pointe du couteau.

Le rapport est étroit entre les figures trouvées dans ce que M. Lang appelle le premier temple et celles qui ont été recueillies dans le second, dans celui dont M. de Cesnola a levé, tant bien que mal, un plan approximatif. Toutes sont taillées dans le tuf calcaire que fournissent en abondance les montagnes voisines ; toutes, les moins anciennes aussi bien que celles qui semblent dater des temps les plus éloignés, ont un air de famille ; elles ont des caractères

  1. Cyprus, chapitres IV et V.